• SC 291

    Cyprien de Carthage

    À Donat et La Vertu de patience

    mars 1982

    (Texte latin)

    Introduction, traduction et notes par Jean Molager.

    ISBN : 9782204018852
    264 pages
    Indisponible chez notre éditeur
    Le récit de sa conversion, par un « pape » de l'Afrique mort martyr en 258.

    Présentation

    Sont réunis dans ce volume deux petits chefs-d’œuvre d’éloquence, promis à une large postérité. Ils donnent à voir, d’une extrémité à l’autre de la vie d’écrivain du Carthaginois, son souci apostolique au sujet du sacrement qui marque l’entrée dans la vie chrétienne.

    Dans le petit traité de catéchèse sur le baptême et la grâce qu’est l’Ad Donatum, Cyprien, encore néophyte, exhorte un ami qui l’est aussi à mieux renoncer au monde, et au-delà invite tous les tièdes à la confiante persévérance.

    Pasteur, évêque depuis plusieurs années, c’est avec la même délicatesse qu’il entreprend, dans le De bono patientiae, de réconforter ses fidèles troublés par la querelle sur le rebaptême des hérétiques : il les appelle encore et toujours à l’unité et à la pratique de la charité, leur offrant de nombreux exemples à suivre, puisés dans les Écritures.

    Ces textes, outre qu’ils nous fournissent de précieux renseignements sur la vie de l’Église d’Afrique au IIIe siècle, nous introduisent aux origines de la théologie sacramentaire et de la conception du gouvernement de l’Église. Mais leur tonalité fraternelle et leur universalité leur confèrent aussi une vibrante actualité.

    Le mot des Sources Chrétiennes

    Deux petits traités, très lus au cours des siècles, dans lesquels saint Cyprien veut réveiller l'ardeur et la fidélité des chrétiens.

    Œuvre(s) contenue(s) dans ce volume

    A Donat

    Dans l’Ad Donatum, Cyprien, encore néophyte, exhorte un certain Donat, néophyte lui aussi, mais moins ardent que son ami, à se détacher du monde. Au-delà du destinataire direct, Cyprien se propose vraisemblablement d’atteindre des catéchumènes peu pressés de recevoir le baptême, voire des païens encore attachés au culte des idoles.

    Le traité fut sans doute composé à l’automne 246, quelques mois après le baptême de Cyprien (il deviendra évêque de Carthage en 249). Il connut un large succès ; Ambroise, Augustin ou encore Maxime de Turin (iv-ve siècles), Cassiodore et Isidore de Séville (vie siècle), Agobard de Lyon (ixe siècle) et Abélard (xiie siècle), le citent avec estime. Érasme le préfère à tous les écrits de Tertullien et d’Augustin.

    200 manuscrits antérieurs au xve siècle, dont 20 antérieurs au xe siècle, conservent le traité ; la plupart se trouvent en France et en Italie. Ils se répartissent en trois familles, qu’il est très difficile d’articuler entre elles ; de manière générale, une variante dans plusieurs codices et qui diffère de toutes les autres a d’autant plus de chances de représenter le texte authentique que ces mêmes codices concordent plus rarement entre eux dans leurs fautes (cf. p. 55). Le présent volume reprend l’édition publiée par M. Simonetti dans le CCL 3A, p. 3-13, avec quelques corrections.

    L’invention et la composition de l’Ad Donatum s’inspirent de la rhétorique romaine traditionnelle, de Cicéron à Quintilien. Cyprien veut à la fois docere et mouere (enseigner et exhorter) ; les buts du discours en dictent l’organisation et le contenu. L’exorde indique les circonstances de la composition : un entretien amical, dans un jardin, à la période des vendanges (chap. 1). Mais comme le thème est neuf, l’auteur précise qu’à la différence des discours ordinaires, il usera d’un style simple et appuiera sa démonstration seulement sur des faits (chap. 2). De fait, Cyprien commence par livrer son expérience de conversion (chap. 3-5) ; il s’élève ensuite contre les vices de la société et les richesses illusoires, afin d’en détourner Donat (chap. 6-13), et souligne que la véritable félicité et la vraie sécurité consistent à rompre avec le monde pour conserver toujours l’innocence baptismale (chap. 14). Le rhéteur passe ensuite à l’exhortatio, traditionnelle elle aussi, à la persévérance et à la prière (chap. 15). La péroraison, paisible, rappelle les développements sur la grâce et l’action de l’Esprit Saint au moment du baptême. En dépit d’un début problématique dans les manuscrits (certains portent un bene admones), il ne semble pas que l’Ad Donatum ait été originellement un dialogue ; en revanche, il s’inscrit dans une série d’échanges entre son auteur et son destinataire, qu’atteste ce bene admones.

    L’un des intérêts majeurs du traité réside dans l’exposé des effets spirituels du baptême, d’après l’expérience de l’auteur : aux ténèbres et au doute dans lesquels il se trouvait ont succédé une lumière et une facilité qu’il attribue à l’Esprit. Il vante alors le don le Dieu qui communique la vie, l’énergie spirituelle et la connaissance anticipée des réalités futures, et invite à la persévérance pour correspondre à la grâce reçue, qui accroît la liberté du baptisé. Mais, selon la coutume répandue en Afrique et en Asie, il se prononce en faveur du rebaptême des hérétiques ; à Rome, le pape Étienne le jugeait inutile, et c’est ce point de vue qui deviendra la norme.

    Ce traité, dans lequel Cyprien livre son témoignage personnel, marque également une étape importante dans l’histoire de la littérature. Avant lui, rares étaient les auteurs à s’être livrés personnellement dans leurs œuvres, et encore, souvent de façon romancée (l’on pense aux propos de Justin de Rome dans son Dialogue avec Tryphon, ou aux apocryphes clémentins). Hilaire de Poitiers, dans le prologue de son De Trinitate, et Augustin d’Hippone, dans ses Confessions, creuseront le sillage ouvert par Cyprien.

    Pour autant que nous puissions en juger, Cyprien s’est relativement peu inspiré de ses prédécesseurs pour composer son traité. On note quelques rapprochements avec Justin de Rome et Tatien, Tertullien et Minucius Felix, ainsi qu’avec Sénèque, que Cyprien fréquenta lorsqu’il enseignait la rhétorique, et Apulée. Encore ces rapprochements ne sont-ils pas nécessairement tous conscients.

    Le style du traité est marqué de l’empreinte de la formation rhétorique reçue par l’auteur ; Augustin le trouvait un peu apprêté, mais il faut surtout reconnaître sa tension et sa force, qui témoignent de la profonde conviction de Cyprien et de son intense désir de convaincre.

    La vertu de patience

    À Rome, la tradition voulait que l’imposition des mains suffise à intégrer à l’Église un ancien hérétique, baptisé par les siens. En Afrique et en Asie, l’habitude était différente : les chrétiens de la grande Église rebaptisaient les hérétiques. Le De bono patientia a été composé dans le contexte de discussions sur ce point de discipline, rendu actuel par le retour de novatianistes au sein de l’Église. Cyprien eut à plusieurs reprises l’occasion de défendre son point de vue, qu’entérinèrent plusieurs conciles africains. Au cours de l’été 256, Cyprien écrivit en outre une lettre à l’évêque Jubaïanus sur le baptême des hérétiques, envoi complété par le De bono patientiae. Celui-ci a donc été composé avant cette date, pour rassurer les fidèles et maintenir leur unité.

    On connaît le refus hautain qu’Étienne, alors évêque de Rome, opposa aux pratiques africaines. Cyprien n’en changea pas pour autant de pratique : s’il reconnaissait la suprématie de l’évêque de Rome en matière de foi, il estimait tous les évêques égaux sur les questions de discipline. La brouille entre Rome et Carthage ne dura guère : la persécution de Valérien réunit Étienne et Cyprien dans le martyre, en 257 pour le premier, en 258 pour le second.

    Si l’intérêt immédiat du traité ne fait aucun doute, il reçut également une large audience par la suite. Lactance, Prudence et Paulin de Nole en font l’éloge ; le poète Commodien s’en inspire ; Augustin le cite et écrit, à l’imitation du Carthaginois, un De patientia (fort différent il est vrai) ; son influence sur la discipline ecclésiastique atteste que le traité fut lu en Europe tout au long du Moyen-âge.

    Le présent volume reprend l’édition publiée par C. Moreschini dans le CCL 3A, p. 118-133, avec quelques corrections.

    Cyprien n’a pas oublié sa formation rhétorique : la matière et l’organisation du De bono patientiae sont inspirés des principes rhétoriques classiques. Pour présenter aux fidèles une vertu chrétienne, nécessaire pour écouter, apprendre et obtenir les récompenses célestes (chap. 1), il montre qu’elle est d’origine divine (chap. 3), sinon elle serait aussi fausse que la sagesse du monde (chap. 2). Il développe ensuite des exemples tirés de l’Écriture : Dieu, le Christ, les patriarches, les prophètes et les juges la pratiquèrent (chap. 4-10). Il s’intéresse ensuite aux avantages de la patience : celle-ci est indispensable à l’homme depuis qu’Adam a été condamné au travail (chap. 11-12) ; elle ouvre la voie aux vertus de foi, d’espérance et de charité (chap. 13 et 15) ; elle est nécessaire pour mettre en pratique les exemples d’Étienne et de Job (chap. 16 et 18), calmer les passions, conserver la pureté ou l’amour conjugal (chap. 20). L’ouvrage se termine sur une application pratique : il faut savoir attendre le jugement (chap. 21-23) et le Juge (chap. 24).

    L’auteur, évêque, privilégie la gravité aux ornements oratoires, dont il use ponctuellement pour donner force et persuasion à sa parole. Les périodes sont plus abondantes et plus étoffées que dans l’Ad Donatum. Les nombreuses citations scripturaires qui fondent son discours ne font jamais l’objet d’interprétations allégoriques : l’une des originalités de l’ouvrage réside dans ce rapport étroit entre les directives pratiques qu’il renferme et les textes scripturaires dont elles découlent.

    Si des points de contacts naturels rapprochent le De bono patientia de Cyprien du De patientia de Tertullien (organisation, exemples, critique du vice opposé…), l’évêque de Carthage fait œuvre personnelle : alors que le texte de Tertullien, pétri de stoïcisme, peint la patience chrétienne sous les traits de l’apatheia, la vertu louée par Cyprien est spécifiquement chrétienne.

    Extrait(s)

    Cyprien de Carthage, A Donat 3-4 (SC 291, p. 80-84)

    3. Pour moi, lorsque j’étais prostré dans les ténèbres d’une nuit sans clarté, et lorsque, hésitant et indécis, j’étais ballotté au hasard par la houle dans la mer du siècle agité, ignorant de ma vie, étranger à la vérité et à la lumière, j’estimais vraiment difficile et pénible, vu mes habitudes d’alors, ce que promettait pour me sauver la divine miséricorde : on pouvait naître à nouveau, et, enfanté à une vie nouvelle par le bain de l’eau qui procure le salut, dépouiller ce que l’on avait été auparavant, et, tout en gardant sa constitution physique, changer l’homme, esprit et âme. Je me disais : comment est possible une aussi complète transformation, se débarrasser soudain et d’un seul coup de vices qui, ou innés ont durci du fait de la dégradation de notre nature matérielle, ou contractés depuis longtemps se sont développés avec l’âge et l’ancienneté ? Par de longues et profondes racines ils se sont installés jusqu’au fond de l’être. Quand apprend-il la tempérance, l’habitué des dîners d’apparat et des festins copieux ? Et celui qui s’est fait remarquer par des vêtements de prix et qui a resplendi dans l’or et dans la pourpre, quand s’abaisse-t-il à une mise commune et sans recherche ? Celui qui a trouvé du charme aux faisceaux et aux honneurs ne peut être un simple particulier sans notoriété. Celui-ci, escorté d’une avant-garde de clients, honoré du cortège compact d’un bataillon de gens empressés, considère comme une punition d’être seul. […]

    4. Voilà ce que souvent je me disais en moi-même. Effectivement moi aussi j’étais retenu, empêtré dans les mille égarements de ma vie précédente, dont je ne croyais pas pouvoir me défaire […]. Mais après qu’avec le secours de l’eau qui régénère les taches de mon ancienne vie eurent été lavées et que la lumière d’en haut se fut répandue dans mon âme délivrée et purifiée, après que j’eus reçu l’Esprit venu du ciel et qu’une seconde naissance m’eut changé en un homme nouveau, ce fut merveille comme aussitôt je vis la certitude lever mes doutes, s’ouvrir les barrières, s’éclairer les ténèbres, devenir facile ce qui précédemment semblait difficile, possible à pratiquer ce que je croyais impossible, à telle enseigne qu’il m’était donné de reconnaître comme terrestre ce qui auparavant, né de la chair, était enclin au péché, comme déjà divin ce que dorénavant animait l’Esprit-Saint. Tu sais assurément et tu reconnais tout comme moi ce que nous a enlevé ou ce que nous a apporté cette mort des péchés, cette vie des vertus. Tu le sais toi-même et je ne me glorifie pas. Se louer soi-même est odieuse vantardise ; et pourtant ce ne saurait être vantardise mais reconnaissance ce que l’on n’attribue pas à la valeur de l’homme, mais que l’on glorifie comme un don reçu de Dieu, au point que ne plus pécher désormais provient de la foi, alors que les péchés antérieurs tenaient à l’égarement humain. C’est de Dieu, oui de Dieu que vient tout notre pouvoir. De lui nous tenons la vie, de lui la force, de lui nous recevons toute énergie surnaturelle, et, tout en étant encore ici-bas, nous avons par une connaissance anticipée la révélation des réalités futures.

    Cyprien de Carthage, La vertu de patience 20 (SC 291, p. 232-236) : éloge de la patience

    Aussi, frères très aimés, après avoir pesé avec soin d’un côté les avantages de la patience, de l’autre les inconvénients de l’impatience, pratiquons avec un zèle extrême la patience qui nous permet de demeurer dans le Christ et de parvenir avec le Christ jusqu’à Dieu ; riche et complexe, elle ne se laisse pas enfermer dans des limites étroites et enserrer dans des frontières exiguës. Elle s’étend sur un vaste domaine l’efficacité de la patience, et sa généreuse fécondité découle de la source d’un nom à coup sûr unique, mais, des canaux la déversant à flots, elle se répand par de nombreux cheminements qui mènent à la gloire ; et rien dans nos actions ne peut servir à parfaire le mérite, s’il ne reçoit d’elle la stabilité de l’achèvement. C’est la patience qui en même temps nous fait valoir aux yeux de Dieu et nous garde pour lui ; c’est elle qui apaise la colère, qui retient la langue, qui guide l’esprit, défend la paix, fixe une règle de vie, brise l’élan des passions, réprime la violence de l’orgueil, éteint l’incendie de la haine, limite le pouvoir des riches, réconforte les pauvres dans leur dénuement, protège chez les vierges la bienheureuse intégrité, chez les veuves la chasteté qui exige des efforts, chez les femmes mariées l’amour sans partage. Elle rend modeste dans la prospérité, dans le malheur courageux, calme devant les injures et les insultes ; elle apprend à accorder le pardon sans retard à ceux qui t’offensent ; si tu offensais toi-même, à le demander longtemps et instamment. Elle triomphe des tentations, supporte les persécutions, couronne les souffrances et les martyres. C’est elle qui fortifie solidement les bases de notre foi, elle qui fait monter bien haut les progrès de notre espérance. Elle règle notre conduite de manière à nous permettre de suivre la voie du Christ, tant que nous marchons en conservant sa résignation ; elle fait que nous restons fils de Dieu, tant que nous imitons la patience du Père.

    Errata

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    Texte concerné

    Correction

    Remarques

    14

    notes

    II.

    I2.

    I3.

    I.

    2.

    3.

     

    47

    l. 10-12

    cum beatissimi (...) passus est

     

    citation : Maxime S. XI

    47

    l. 16-18

    Sancti Cypriani (...) gaudemus

     

    citation : Maxime S. X

    94

    § 8 l. 169

    senio

    senium

     

    134

    Ligne 7

    volontés.

    volontés."

     

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