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SC 467
Cyprien de Carthage
À Démétrien
septembre 2003Introduction, texte critique, traduction et commentaire par Jean-Claude Fredouille.
Ouvrage publié avec le concours du Conseil Général du Rhône.Révision assurée par Yasmine Ech Chael.ISBN : 9782204068543228 pages« La fin du monde est proche », avertit le « pape » de l'Afrique mort martyr en 258.Présentation
Au milieu du IIIe siècle, l'Empire romain connaît des difficultés de toutes sortes, politiques, militaires, économiques, naturelles, qu'aggrave encore une épidémie de « peste ». La partie orientale de l'Afrique est probablement moins éprouvée que d'autres régions, mais elle a néanmoins son lot des malheurs du temps.
Pour expliquer une telle dégradation, deux conceptions de l'histoire s'affrontent. Les païens voient dans cette situation l'effet de la colère vengeresse des dieux, outragés par les chrétiens, car ceux-ci s'abstiennent de participer aux cérémonies en leur honneur. Ce refus les désigne comme responsables de tous les maux de l'Empire et « légitime » les persécutions à leur encontre.
Pour Cyprien, ces accusations n'ont aucun fondement, les persécutions aucune justification. Les maux présents ont une cause naturelle : conséquence du vieillissement du monde, ils sont les signes, annoncés par l'Écriture, que la fin du monde est proche. Cette conviction, qui anime les chrétiens, leur permet de supporter malheurs et persécutions avec courage et patience, dans l'attente du Royaume.
Cyprien termine sa « lettre ouverte », adressée à un certain Démétrien empressé à colporter les griefs contre les chrétiens, en exhortant les païens à se convertir, car il est encore temps pour eux d'échapper au châtiment éternel. Ce « protreptique » final confère à l'« apologie » sa véritable signification.Jean-Claude Fredouille est Professeur à l'Université de Paris IV-Sorbonne et Directeur de l'Institut d'Études augustiniennes (Laboratoire CNRS associé à Paris IV).
Le mot des Sources Chrétiennes
La lettre adressée par Cyprien de Carthage à un certain Démétrien, dont nous ignorons tout, mais que rien n'autorise à considérer comme un personnage fictif est, elle aussi, une apologie en faveur des chrétiens. En effet, en adoptant le genre littéraire de la lettre pour l'À Démétrien, Cyprien s'inscrit dans une tradition apologétique déjà bien établie, représentée notamment par les lettres de Théophile d'Antioche, À Autolycus (SC 20), la lettre À Diognète (SC 3 bis) et celle de Tertullien, À Scapula. Avec ce traité se poursuit, d'autre part, la publication des œuvres complètes de Cyprien dans la collection « Sources Chrétiennes ».
A l'époque de Cyprien, il était devenu traditionnel aussi d'accuser les chrétiens d'être responsables de tous les maux qui s'abattaient sur l'empire : guerres, épidémies, tremblements de terre, famines, etc. Ces malheurs étaient perçus comme la conséquence directe de l'abandon par les chrétiens du culte des dieux qui avaient permis la grandeur de Rome et assuré jusque-là la souveraineté de son empire. Il ne faut donc pas s'étonner que de telles accusations, accueillies et colportées non seulement dans les couches populaires mais aussi dans des milieux païens cultivés, aient servi plus d'une fois à justifier les persécutions. Doit-on penser que l'occasion du traité de Cyprien, daté des années qui suivirent la persécution de Dèce, soit entre 251 et 253, est à mettre en relation avec la peste qui sévit dans l'Empire, pendant près de vingt ans, à partir de 251 ? Selon Jean-Claude Fredouille (Université Paris IV-Sorbonne), à qui l'on doit l'édition de ce texte, ce n'est là qu'une hypothèse vraisemblable, essentiellement fondée sur une comparaison avec le De mortalitate, un traité de Cyprien, probablement contemporain du nôtre, mais sans véritable support dans l'À Démétrien.
Quoi qu'il en soit des circonstances à l'origine du traité, il est clair que Démétrien et son entourage devaient reprendre contre les chrétiens les attaques qui faisaient d'eux les responsables des calamités naturelles, militaires ou politiques qui frappaient alors l'Empire. C'est du moins ce que l'on peut déduire du discours apologétique, sous forme de lettre ouverte, que lui adresse Cyprien. Il aurait pu, dit-il, traiter par le mépris de telles accusations, si son silence n'avait pas risqué de les accréditer. Aussi entreprend-il de réfuter les affirmations de Démétrien, selon qui « on se plaint de tous côtés que les guerres surgissent plus fréquemment, que les épidémies, que les famines exercent leurs ravages, que l'absence prolongée de tout nuage empêche orages et pluies », et qui impute cette situation aux chrétiens. La première partie du traité (c. III-XVI) s'attache donc à réfuter l'idée que les chrétiens seraient responsables des malheurs de Rome, sous prétexte qu'ils ont abandonné les dieux des païens, et à dénoncer l'injustice et l'inefficacité des persécutions pour remédier à une situation dont les chrétiens sont les victimes au même titre que les païens. Les véritables causes de ces maux sont à chercher ailleurs, notamment dans le vieillissement du monde, dont Cyprien croit la fin prochaine et dont il voit les signes avant-coureurs dans l'immoralité croissante, les guerres et les malheurs du temps. En face de calamités dont ils ne sont pas responsables et des persécutions dont ils sont frappés, Cyprien trace, dans une deuxième partie (XVII-XXII), le portrait moral des chrétiens, en soulignant l'attitude patiente et sereine qui est la leur, une façon de montrer l'inanité des griefs qu'on leur adresse et l'injustice de leurs persécuteurs. La lettre s'achève (c. XXIII-XXVI) par une longue exhortation à la conversion faite aux païens, pendant qu'il en est temps encore, puisque « la fin du monde est proche désormais ».
Le regard que porte Cyprien sur son époque, dans l'À Démétrien, est bien sombre. Ce pessimisme est sans aucun doute légitime si l'on considère la situation générale de l'empire romain, en ce milieu de IIIe siècle ; mais, J.-C. Fredouille le fait remarquer, il est beaucoup moins justifié si l'on s'en tient à celle de l'Afrique orientale. Aussi le témoignage de Cyprien sur la situation militaire et économique de son temps, sur la dégradation des mœurs et de la moralité, doit-il être accueilli avec prudence. Non que ce témoignage ne s'appuierait sur aucune réalité concrète, connue de lui, mais il procède aussi à l'évidence de toute une tradition, antérieure même à l'apparition du christianisme, selon laquelle, d'âge en âge, le monde subit une dégradation qui le conduit à sa ruine. Cette vue est renforcée chez Cyprien par la conception, partagée avec beaucoup d'autres Pères de l'Église, d'un monde qui devait durer six mille ans et qui touche désormais à son terme. C'est cette proximité eschatologique qui justifie le caractère pressant de l'appel à la conversion qu'il adresse aux païens à la fin de son apologie.Jean-Noël Guinot
Œuvre(s) contenue(s) dans ce volume
Au milieu du IIIe siècle, l'Empire romain connaît des difficultés de toutes sortes, politiques, militaires, économiques, naturelles, qu'aggrave encore une épidémie de « peste ». La partie orientale de l'Afrique est probablement moins éprouvée que d'autres régions, mais elle a néanmoins son lot des malheurs du temps. Pour expliquer une telle dégradation, deux conceptions de l'histoire s'affrontent. Les païens voient dans cette situation l'effet de la colère vengeresse des dieux, outragés par les chrétiens, car ceux-ci s'abstiennent de participer aux cérémonies en leur honneur. Ce refus les désigne comme responsables de tous les maux de l'Empire et « légitime » les persécutions à leur encontre. En réponse à ces accusations, Cyprien rédige cette lettre ouverte probablement entre la fin de l’année 249 et le printemps 251, à la même époque que son traité De mortalitate. Elle est adressée à un païen nommé Démétrien, avec lequel Cyprien a eu l’occasion de débattre de vive voix.
Si la tradition manuscrite de l’œuvre de Cyprien est complexe, les travaux récents ont permis d’en préciser certaines branches. La présente édition prend en compte trente témoins, collationnés à nouveaux frais, y compris un manuscrit de Vérone (Veronensis) aujourd’hui perdu, dont les leçons ont été reportées par Latino Latini sur une édition d’Érasme de 1537. Au-delà de la parenté déjà établie entre certains témoins, la tradition de l’Ad Demetrianum frappe pour les nombreuses connexions entre des témoins considérés auparavant comme appartenant à des sous-ensembles différents.
L’À Démétrien est un traité sous forme de lettre ouverte, à caractère apologétique, comme en ont écrit, avant Cyprien, Théophyle d’Antioche (Ad Autolycum) ou encore Tertullien (Ad Scapulam). Cyprien y réfute les accusations portées contre les chrétiens. Après un préambule (I-II), il récuse la thèse selon laquelle les malheurs du temps seraient la conséquence de l’abandon par les chrétiens du culte des dieux qui avaient permis la grandeur de Rome et assuré jusque-là la souveraineté de son empire (III-XI) ; au contraire, ces malheurs seraient des châtiments divins dus aux crimes des persécuteurs (XII-XVI). Mais la véritable cause de ces maux est à chercher dans le vieillissement du monde, dont Cyprien croit la fin prochaine et dont il voit les signes avant-coureurs dans l’immoralité croissante, les guerres et les malheurs du temps. En face de calamités dont ils ne sont pas responsables et des persécutions dont ils sont frappés, Cyprien trace le portrait moral des chrétiens, en soulignant l’attitude patiente et sereine qui est la leur, une façon de montrer l’inanité des griefs qu’on leur adresse et l’injustice de leurs persécuteurs (XVII-XXII). La lettre s’achève par une longue exhortation à la conversion faite aux païens, pendant qu’il en est temps encore, puisque « la fin du monde est proche désormais » (XXIII-XXVI).
Les historiens s’accordent aujourd’hui pour dire que si, comme l’écrit Cyprien, l’Afrique de son époque était affrontée à de nombreuses difficultés, le tableau n’était pas aussi noir qu’il le prétend. Mais sa description lui permet d’insister sur le vieillissement du monde, un thème fréquent chez les Pères (notamment chez Ambroise, Jean Chrysostome et Augustin), et que l’on trouve déjà dans la poésie d’Hésiode (VIIIe siècle avant J.-C.).
Dans cette apologie adressée à un païen, Cyprien déroge aux habitudes de l’apologie latine en citant l’Écriture, spécialement l’Ancien Testament ; par là, il cherche à démontrer que la situation contemporaine accomplit les anciennes prophéties et, plus encore, à convertir son interlocuteur : pour l’évêque de Carthage, une apologie du christianisme n’a de sens que si elle est susceptible de conduire les païens au christianisme.
Extrait(s)
Ad Demetrianum 23, 1-2, SC 467, p. 121-123
C'est pourquoi, pendant qu'il est temps, portez votre attention sur le salut véritable et éternel, et parce que la fin du monde est proche désormais, vers Dieu tournez vos pensées, emplis de la crainte de Dieu. Ne prenez pas de plaisir, en ce siècle, à votre domination tyrannique et vaine au milieu des justes et des doux, car dans les champs aussi, au milieu des moissons cultivées et fécondes, dominent l'ivraie et l'avoine, et ne dites pas que les malheurs surviennent parce que vos dieux ne sont pas l'objet d'un culte de notre part, mais sachez que c'est là la colère de Dieu, c'est là la sévérité de Dieu, afin que lui qui ne se fait pas comprendre par ses bienfaits se fasse comprendre fût-ce par ses châtiments. Cherchez Dieu, fût-ce tardivement, parce que depuis longtemps Dieu, qui vous avertit par le prophète, vous exhorte et dit : « Cherchez Dieu et votre âme vivra. » (Am 5, 6a) Apprenez à connaître Dieu, fût-ce tardivement, parce que le Christ, en venant, vous le conseille et l'enseigne en disant : « C'est cela la vie éternelle, qu'ils te connaissent toi, l'unique et vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus Christ. » (Jn 17, 3) Croyez à celui qui ne trompe d'aucune façon. Croyez à celui qui a prédit que tout cela se produirait. Croyez à celui qui donnera aux croyants la récompense de la vie éternelle. Croyez à celui qui infligera aux incrédules d'éternels supplices dans les feux de la géhenne.
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