• SC 519

    Cyprien de Carthage

    La Jalousie et l'Envie

    janvier 2008

    Introduction, texte critique, traduction, notes et index par Michel Poirier.

    Révision assurée par Isabelle Brunetière.
    ISBN : 9782204086431
    148 pages
    « L'ennemi est toujours dans ton cœur » : la jalousie, par un « pape » de l'Afrique mort martyr en 258.

    Présentation

    « Tu ne peux pas te fuir toi-même. Partout où tu te trouves, ton adversaire est avec toi, l'ennemi est toujours dans ton cœur. » C'est en ces termes que Cyprien évoque ce qu'il appelle les blessures de la jalousie. Mais ce bref traité du grand évêque de Carthage montre surtout que le sujet dépasse la simple morale des relations quotidiennes.

    Qu'un ange du plus haut rang se soit perdu jusqu'à devenir l'Adversaire, le Diable, cela fut dû à la jalousie qu'il a conçue quand il a vu que l'homme était créé à l'image de Dieu. Il a voulu alors tenter et perdre l'homme. La première chute a été fille de la jalousie et de l'envie, et combien d'autres ensuite !

    Avec la jalousie, Cyprien s'avance hors des sentiers battus de la morale antique. Lorsqu'il emprunte quelques idées à Sénèque, il va les chercher dans un traité sur la colère. Mais le remède à l'envie, c'est le baptême : les fils de Dieu peuvent-ils vivre entre eux autre chose que la fraternité ? Telle est la couronne, le combat véritable, quand la persécution s'est éloignée. « La paix aussi a ses couronnes », proclame Cyprien. L'exigence morale devient ainsi un défi spirituel.

    Le mot des Sources Chrétiennes

    L'envie serait-elle une braise qui couve en chacun, attendant le souffle d'une occasion pour s'enflammer ? Cyprien commence ainsi son traité, montrant Bible à l'appui que la jalousie est vieille comme Caïn – ou même comme Lucifer – et neuve comme son époque, où Novatien à Rome, Felicissimus à Carthage, candidats évincés à l'ordination épiscopale, ont allumé dans leurs Églises le feu de la division. L'œuvre de Cyprien renvoie le lecteur à sa responsabilité, ou mieux à sa grâce, de baptisé : entre frères en Christ, comment cultiver la jalousie ou l'envie ? Ne pas se laisser prendre aux pièges grossiers mais efficaces de l'Ennemi (il a vaincu un ange, il peut bien vaincre un homme !), tel est le combat, qui commence quand finit la persécution et que s'installe pour les chrétiens l'apparence de la paix. Au lieu de jalouser, n'ayons qu'un seul coeur, conclut Cyprien – alors le Royaume advient.

    Bernard Meunier

    Œuvre(s) contenue(s) dans ce volume

    Il est difficile de dater le De zelo et liuore. La description des effets de la jalousie à l’intérieur de l’Église invite à situer le traité après le schisme par lequel, au printemps 251, Felicissimus et ses affidés se séparèrent de l’évêque et de la communauté catholique de Carthage. Le sens négatif, rare, que le titre attribue à zelus, ne se retrouve guère que dans deux textes liés au schisme de Novatien : cela invite à ne pas situer le traité trop loin de 253. Il n’est guère possible de préciser davantage.

    Il est difficile de déceler l’influence du De Zelo dans la littérature latine. Le traité n’intervient qu’à la marge de la confrontation avec Cyprien à laquelle les donatistes poussent Augustin. Dans son De Baptismo, tout en critiquant la position de Cyprien sur le rebaptême des hérétiques, l’évêque d’Hippone loue la charité dont l’évêque de Carthage a toujours fait montre envers ses adversaires – contrairement aux donatistes. Il cite les premiers mots du De Zelo, ainsi que de larges extraits du § 4. Son Sermo Guelf. 26 (313C), un éloge de Cyprien, résume le traité, à l’instar des autres œuvres de Cyprien. Des traces de l’influence du De Zelo sont peut-être perceptibles dans le Sermo 4 de Pierre Chrysologue, ainsi que chez Prosper d’Aquitaine, Rufin d’Aquilée, Jérôme et Salvien de Marseille. Le thème de la jalousie des Juifs, qui aurait poussé à mettre le Christ à mort, est celui qui connut le plus grand succès ; il fut repris par Commodien, Césaire d’Arles et Bède. Enfin, Césaire, dans son Sermo 90, reprend une phrase sur deux du § 4 du De Zelo, sur Joseph qui pardonne à ses frères.

    L’édition se base sur celle de M. Simonetti (CCL 3A, p. 75-86). La vérification systématique a permis de petites corrections et surtout la refonte complète de l’apparat critique.

     

    Quel est le genre du De Zelo ? Augustin y voyait une lettre ; M. Simonetti s’est prononcé en faveur d’une homélie réécrite pour la publication. Mais dans une culture où les rapports entre écrit et oral sont poreuses, le traité diffusé par des copies, le sermon prononcé et la lettre développée ne sont pas nécessairement trois genres littéraires réellement différents.

    L’exorde (§ 1-3) rappelle que le diable est aux aguets et que l’envie fait partie des pièges qu’il tend aux fidèles. L’Ancien Testament rapporte les premiers exemples du méfait de la jalousie (§ 4-5), dont Cyprien développe les ressorts proprement psychologiques (§ 6-9). C’est dans cette section que se trouve la description des méfaits de l’envie à l’intérieur d’une communauté chrétienne (§ 6). De nombreuses références au Nouveau Testament soutiennent ensuite une exhortation à combattre la jalousie (§ 10-13). L’exhortation morale à éviter un vice s’élargit en une invitation spirituelle à entrer pleinement dans la dynamique du salut (§ 14-15). La péroraison engage à méditer ces enseignements pour gagner la couronne promise (§ 16-18). L’ensemble forme une structure embrassée : la péroraison répond à l’exorde ; la deuxième et la quatrième sections, bibliques, encadrent une analyse moraliste classique. La cinquième section échappe à l’ensemble : elle forme la pointe du traité pour conduire le lecteur, au-delà de la conversion morale, à adhérer de tout son être au salut offert par le Christ. Une lecture du plan de l’ouvrage selon la rhétorique classique (exorde, narration, confirmation et réfutation, péroraison) est aussi possible.

    Le sujet traité n’a pas d’équivalent. Le latin ne disposait pas de mots pour désigner les sentiments complexes que sont la jalousie et l’envie. À l’époque d’Augustin, il emprunta au grec son ζῆλος, dont il conserva le sens à la fois positif et négatif. Liuor et inuidia ne sont quant à eux que des sens dérivés : liuor, un mot descriptif concret, désigne surtout l’altération de la couleur peau sous un coup (un « bleu » en français). L’envie a donc probablement été perçue comme un sentiment qui altère l’âme. Inuidia, seul mot connu par les prosateurs classiques pour désigner l’envie, manifestait au départ seulement l’hostilité du regard posé sur quelqu’un, sans motif particulier. Cyprien ne distingue guère ces trois mots. Quant au sentiment lui-même, si l’on en croit la longue absence de terme permettant de le désigner, il fut longtemps mal identifié au milieu d’attitudes proches, réunissant toutes les formes d’hostilité envers quelqu’un sans agression préalable.

    Il est difficile de préciser les sources utilisées par Cyprien : la troisième séquence, presque dépourvue de citations bibliques, dresse un tableau noir et détaillé des conséquences de la jalousie ; elle est probablement inspirée d’un moraliste, mais il n’est pas possible de déterminer lequel – à moins que Cyprien n’ait tiré ses développements de son propre fonds et de l’expérience des hommes.

    La langue est pure, excepté quelques écarts probablement déjà passés dans l’usage (amatus fui pour amatus sum, proposition complétive après les verbes de déclaration…). Parmi les procédés de mise en forme, Cyprien utilise de nombreuses listes, introduisant de la variation pour ne pas lasser son lecteur. Les clausules sont de facture classique, cicéronienne, mais dans 84% des cas, elles ne paraîtront pas non plus étranges le jour où un rythme fondé sur les accents remplacera celui fondé sur les agencements métriques.

    Extrait(s)

    Cyprien de Carthage, La jalousie et l’envie, SC 519, p. 78-81

    Avec ces faits maintenant à l’esprit, frères bien-aimés, combattons un fléau si nuisible en fortifiant avec vigilance et fermeté nos cœurs tout attachés à Dieu. Que la mort d’autrui serve à notre salut, que le châtiment d’imprudents apporte la santé à qui sait prévoir. On ne doit pas estimer que ce mal consiste en une seule espèce, qu’il s’enferme dans des limites réduites et un périmètre étroit. Elle se déploie largement, la multiple et fertile nocivité de la jalousie. Elle est la racine de toutes sortes de maux, une source de désastres, une pépinière de manquements, un aliment pour les fautes. Elle donne naissance à la haine, elle ouvre la porte à l’irritation. La jalousie enflamme la cupidité, quand quelqu’un ne se satisfait pas de ce qu’il a en voyant un autre plus riche. Elle excite l’ambition, quand il aperçoit un autre plus avancé dans les honneurs. Quand la jalousie aveugle notre sentiment et soumet à sa puissance le secret de nos pensées, on rejette la crainte de Dieu, on néglige l’enseignement du Christ, on ne prévoit pas le jour du jugement. L’orgueil s’enfle, la cruauté s’exaspère, la perfidie trahit, l’impatience jette le trouble, la discorde devient furieuse, la colère bouillonne, et l’on ne peut plus se contenir ni se gouverner une fois au pouvoir d’une force qui nous dépasse. Alors le lien de la paix du Seigneur est rompu, alors l’affection entre frères est mise à mal, alors la vérité est falsifiée, l’unité est brisée, on se jette dans les dissidences et les schismes, quand on dénigre ceux qui sont revêtus du sacerdoce, qu’on veut du mal aux évêques, qu’on se plaint de n’avoir pas été préféré pour l’ordination et que l’on refuse de supporter un autre à la tête de la communauté. Alors on regimbe, alors on se révolte, orgueilleux par jalousie, dévoyé par esprit de rivalité, hostile dans l’irritation et l’envie non à un homme, mais à l’honneur qu’il a reçu.

    § 16 (SC 519, p. 105-107)

    « Au chrétien en effet n’est pas réservée uniquement la couronne qu’on reçoit en temps de persécution. La paix aussi a des couronnes qui lui sont propres, qui viennent couronner notre victoire dans un combat multiforme et répété où nous avons terrassé et soumis l’Adversaire. Avoir dompté ses désirs déréglés confère la palme de la tempérance. Avoir résisté à la colère et à la violence donne la couronne de la patience. On célèbre un triomphe sur l’avarice quand on méprise l’argent. On a le mérite de la foi quand on supporte les revers de ce monde grâce à la confiance dans les biens futurs. Qui s’abstient de l’orgueil dans la prospérité acquiert la gloire que procure l’humilité. Qui se dévoue à la miséricorde dans le réconfort des pauvres se procure en retour un trésor au ciel. Et celui qui ne sait pas ce que c’est que jalouser, qui aime ses frères dans la concorde et la douceur, est honoré du prix de l’amour et de la paix. Dans le stade où se mesurent les vertus nous courons chaque jour, nous avons accès sans interruption à ces palmes et ces couronnes de la vie juste. »

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