• SC 546

    Avit de Vienne

    Éloge consolatoire de la chasteté
    Sur la Virginité

    décembre 2011

    Introduction, texte critique, notes et index par Nicole Hecquet-Noti.

    Révision assurée par Isabelle Brunetière.
    ISBN : 9782204097512
    245 pages
    Une épopée biblique en vers, dont le Christ est le héros, par un évêque et poète latin, au tournant des 5e et 6e siècles.

    Présentation

    Lorsqu’il compose le De consolatoria castitatis laude pour sa sœur, la moniale Fuscine, Avit de Vienne s’inscrit dans la tradition du discours sur la virginité. Très présent dans la littérature ascétique, ce thème reflète la situation particulière qu’occupe la uirgo dans la société chrétienne de l’Antiquité tardive, tant dans le monde grec que dans le monde latin.

    Dans un tel contexte, la décision de vivre dans la virginité perpétuelle est une forme d’émancipation qui permet à la femme d’acquérir une certaine liberté par rapport à l’homme en se dégageant des devoirs et vicissitudes liés au mariage. À la différence de l’uxor, elle n’est pas soumise aux caprices d’un époux sévère, ou victime d’un veuvage précoce ; elle n’affronte pas non plus les dangers de la maternité, mais libre de toute obligation terrestre, elle se consacre uniquement à son épanouissement spirituel.

    D’un point de vue littéraire, l’ouvrage d’Avit est aussi bien éloge poétique de la virginité consacrée que consolation adressée à la vierge qui a abandonné le monde, ou épithalame célébrant les noces spirituelles de la moniale et du Christ.

    Après l’édition complète de l’Histoire spirituelle (voir SC 444 et SC 492), cet ouvrage apporte une contribution capitale à l’étude de la poésie de l’évêque de Vienne et à la connaissance de la société du VIe siècle.

    Nicole Hecquet-Noti est chargée d’enseignement de langue et littérature latine à l’Université de Genève. Spécialiste de la poésie latine chrétienne, elle a déjà édité l’Histoire spirituelle d’Avit de Vienne.

    Le mot des Sources Chrétiennes

    Titre, il faut le dire, peu attirant ! Et pourquoi faut-il se « consoler » de la chasteté ? Certes, l’auteur s’adresse à sa sœur Fuscine qui a été consacrée dès son enfance, ce qui laisse supposer qu’elle n’a pas eu le choix… D’autre part, l’œuvre contient tous les poncifs sur les tracas de la vie de couple et de famille : est-ce la bonne manière de faire l’éloge de la virginité ? Telles sont les questions avec lesquelles le lecteur aborde le livre de l’évêque de Vienne, écrit comme son Histoire spirituelle en hexamètres dactyliques, à la manière de Virgile. Mais Avit, tout en suivant un certain nombre de traditions littéraires (le traité sur la virginité est devenu un genre), ne manque pas de liberté. La parabole des vierges sages et des vierges folles lui permet de rappeler que la virginité, en soi, n’est rien, et que l’essentiel est ce qu’on en fait : l’huile de la lampe, ce sont les vertus qu’on pratique au quotidien. Ainsi seulement le Christ-époux sera bien accueilli. Le livre se termine en insistant sur la fécondité spirituelle de la vierge, qui devient comme une mère pour beaucoup, y compris pour ses propres parents.

    Malgré les apparences, l’ouvrage intéressera aussi les historiens, et pas seulement ceux du monachisme. Il témoigne en effet de la culture et des préoccupations de l’aristocratie au début du VIe siècle. La famille y tient une grande place : la galerie des ancêtres et de leurs mérites est complaisamment exposée, non sans un renversement proprement chrétien, puisque ce sont les vierges, et non plus les grands de ce monde, qui sont à présent la gloire de la lignée ; et la jeune vierge Fuscine devient la protectrice de toute la famille, son « porte-étendard qui tient l’emblème du Christ ».

    Bernard Meunier

    Œuvre(s) contenue(s) dans ce volume

    Éloge consolatoire de la chasteté

    La tradition manuscrite a transmis comme un tout les cinq chants de l’Histoire spirituelle et l’Éloge consolatoire de la chasteté (de ce fait, l’histoire de la tradition manuscrite, développée dans le SC 444 à propos de l’Histoire spirituelle, n’est pas reprise dans ce volume). Mais Avit a conçu ce poème de manière indépendante, comme en témoigne le Prologue ajouté ensuite à l’ensemble : à la poésie objective de l’épopée qu’est l’Histoire spirituelle, Avit oppose l’Éloge consolatoire, produit de sa méditation intime. Des allusions personnelles parsèment le poème, y compris dans le traitement des exempla : l’œuvre est même notre source principale pour la connaissance de la famille d’Avit.

    Si l’on croit la Lettre 51, le De consolatoria castitatis laude a été publié après 507, peut-être pour commémorer la mort de Fuscine. Les circonstances de sa composition sont elles aussi obscures – peut-être a-t-il été écrit pour le jour même de l’entrée de Fuscine au monastère, et enrichi par la suite ?

    Ce texte, premier poème sur la chasteté dans une tradition composée jusque-là d’œuvres en prose, a connu une certaine popularité. Venance Fortunat a écrit trois poèmes en lien avec la virginité ; surtout, les nombreux manuscrits carolingiens de l’œuvre attestent son succès.

     

    Avit a composé le De consolatoria castitatis laude à l’intention de sa sœur Fuscine, moniale. Le texte s’inscrit dans la tradition du discours sur la virginité, jusqu’alors illustré par des œuvres en prose dont la valeur est toujours normative, et qui visent à guider les femmes dans leurs choix de vie. Avit, qui ne connaissait guère le grec, ne s’est pas directement inspiré des œuvres des Grecs (Méthode d’Olympe, Grégoire de Naziance et Grégoire de Nysse,..). En revanche, il prolonge la lignée ouverte par les Latins Tertullien, Cyprien, Ambroise, Jérôme ; l’œuvre ne peut être comprise sans son hypotexte augustinien, le De sancta uirginitate 1, 2-5. Mais, plus réaliste que ses devanciers, Avit rappelle à la moniale qu’elle jouira d’une descendance spirituelle sans connaître les douleurs de la maternité charnelle et qu’elle évitera les souffrances de l’épouse soumise. La tradition hagiographique, florissante au ve siècle, a également influencé le contenu du poème. Sa forme est pour sa part pétrie de la poésie antérieure, classique (Virgile spécialement) ou chrétienne (Sidoine, Prudence, Paulin…).

    Le premier intérêt de l’œuvre est historique : il s’agit d’un des rares témoignages sur l’évolution de l’ascétisme féminin au début du vie siècle. Au siècle précédent, dans un contexte où le mariage demeurait la norme sociale, le choix de la virginité perpétuelle était une forme d’émancipation qui permettait à la femme d’acquérir une certaine liberté par rapport à l’homme. Au vie siècle, la consécration de Fuscine s’inscrit dans les valeurs chrétiennes de la famille et permet d’ajouter à la réputation de celle-ci. Peut-être est-ce là la première manifestation de la tradition de l’Adelsheilige, qui se déploiera dans l’aristocratie mérovingienne avec Geneviève et Radegonde. Le poème apporte également des éléments concrets concernant la vie monastique de l’époque, marquée par une stricte clôture, le travail manuel, la psalmodie et la lecture (les v. 379-416 énumèrent les livres bibliques ; la liste mérite d’être comparée aux autres canons connus, notamment ceux d’Augustin et du Decretum Gelasianum).

    L’autre intérêt du poème est littéraire : il se situe au croisement de plusieurs genres, éloge de la virginité consacrée, consolation adressée à la vierge qui a quitté le monde et épithalame célébrant les noces spirituelles de la moniale et du Christ. Le poème se déploie en trois temps. Une partie personnelle (v. 19-200) met en évidence les éléments biographiques importants (v. 19-140) de la naissance à la consécration de Fuscine, puis relève les embarras évités par l’état virginal. La seconde partie, parénétique (v. 201-602), fait d’abord alterner exempla (Marie, Débora) et praecepta tirés de paraboles, pour exhorter la vierge à pratiquer les vertus (v. 201-502), avant d’énumérer des exemples (la « vierge travestie » Eugénie, Joseph, Suzanne, Daniel) en relation avec la pratique de la constantia et de la patientia (v. 503-602). Une courte conclusion élève le ton du poème en évoquant la vie future de la sainte (v. 621-645).

    Prologue à l’évêque Apollinaris

    Ce prologue présente l’Histoire spirituelle au frère d’Avit Apollinaire, qui a joué un rôle prépondérant dans sa parution. Il n’est pas transmis par les manuscrits Germanici ; seuls les Gallicani le rapportent. Il constitue un témoignage important de la conception de l’esthétique poétique chrétienne.

    Vie de sainte Fuscinula

    Le manuscrit BnF 12601 (xiie siècle), arrivé de Corbie à Saint-Germain-des-Prés au xviie siècle, et transféré à la BnF lors de la Révolution française, contient une Vie de sainte Fuscine. Ce texte inachevé y occupe moins de deux folios, entre d’autres Vies de saints de la même région. Le recueil semble donc être une sorte de légendier local.

    Le volume des SC reproduit l’édition princeps donnée par les Bollandistes, en ajoutant quelques corrections indispensables.

    Une prosopographie familiale occupe le chap. 1. Les chap. 2-5 racontent la vie d’Hésychius, père d’Avit, d’Apollinaris et de Fuscine. La vie de cette dernière est rapportée dans les chap. 6-8. Cette Vita mêle des indications réalistes sur la topographie et les monastères viennois à des éléments topiques ; l’ensemble ne concorde guère avec ce que rapportent les Vitae d’Avit et d’Apollinaris. Il semble donc que cette Vita s’appuie exclusivement sur une tradition hagiographique locale. Néanmoins, si la Vie de Fuscine correspond au cadre hagiographique habituel, les indications qui l’ancrent dans la réalité viennoise méritent d’être prises en considération.

     

    Extrait(s)

    Avit de Vienne, Éloge consolatoire de la chasteté, v. 338-378 (SC 546, p. 158-163)

    Allons donc, les flancs cuirassés pour de courageux combats, approche, le cœur en armes, et, en tant que femme, ne crains pas la guerre que mène ton cœur. En effet, naguère, tu as pris connaissance de la gloire de ton sexe par de fréquentes lectures. Tu la reconnais sans aucun doute, je le pense, lorsque jadis Debora a conduit des bataillons déployés derrière les trompettes guerrières, et que cette femme prit l’étendard et marcha devant les troupes en exhortant les hommes ébahis, qu’elle poussa elle-même vers l’ennemi, sous son commandement, en les encourageant par son exemple et son verbe. Mais après qu’elle eut mené, sous sa conduite intrépide, l’armée au combat et poussé par son ardeur les armes animées de fureur, les hordes barbares tombèrent : la vaillance ennemie est entièrement anéantie ; là où la femme se montre, les hommes mis en déroute tournent le dos ; ils cherchent un abri, se considérant comme victorieux s’ils sont en vie. Alors le très grand roi en personne, que la nature a doté d’une stature gigantesque et qu’elle a élevé au-dessus des autres par une tête immense, Sisarra, après s’être débarrassé du fardeau de ses armes, sans escorte, se met en fuite en craignant que son corps énorme ne le fasse remarquer et que sa haute carrure ne trahisse sa fuite. Mais après que, pensant s’être caché en se réfugiant sous un toit, il eut abandonné au sommeil éternel ses yeux alanguis, c’est encore une femme qui le fit s’étendre et dont le maillet ficha dans ses tempes un clou qui le transperça alors qu’il gisait à terre. Ainsi, ce triomphe-là fut entièrement féminin.

    Mais toi, vierge consacrée à Dieu, toi que, par de saintes mœurs, parent aussi bien la pudeur que la foi, rendue plus forte par tes armes intérieures, tu mènes les combats que le cruel ennemi engage contre les justes. L’espérance pieuse sera pour ta tête l’heureux casque du vainqueur ; que la ceinture de la précieuse pudeur ceigne tes reins, que la cuirasse de la justice enserre tes vêtements, que le Verbe toujours pénétrant tienne lieu de glaive pour toi. Voilà les richesses de la vertu, voilà les remèdes de la guerre que, jadis, Prudence a célébrés de son art prudent, en décrivant les combats indécis de l’âme contre le corps. Là, en effet, Virginité guerrière et forte de sa puissante vaillance s’avança, armée : hideuse Volupté l’attaque et l’appelle au combat par de vains efforts. Ainsi, que le serpent envieux trouve en toi cette guerrière et lorsque les combats t’accorderont la victoire après t’avoir harcelée, puisses-tu porter avec allégresse un fier trophée sur l’ennemi écrasé.

    Avit de Vienne, Prologue à l’évêque Apollinaris (SC 546, p. 204-207)

    Tout homme, si cultivé et si savant soit-il, s’il ne conservait un style digne de ses convictions religieuses, en observant non moins les lois de la foi que celles des mètres, pourrait difficilement être capable d’écrire un poème ; et cela alors que la licence de mentir, qui est accordée aussi bien aux peintres qu’aux poètes, doit être bannie très loin des sujets sérieux. En effet, dans l’écriture d’un poème séculier, l’auteur est jugé d’autant plus habile qu’il a composé avec plus d’élégance, ou plutôt pour dire vrai, avec plus d’ineptie, des histoires fausses. Je passe sous silence les mots ou les noms qu’il ne nous est pas permis de lire dans les œuvres d’autrui, pour ne pas dire, d’écrire dans les nôtres, qui, en signifiant une chose par une autre, apportent un très grand profit aux poètes. C’est pourquoi, en réponse au jugement des gens du siècle, qui imputeront à notre manque d’habileté ou de diligence le fait que nous n’utilisons pas la licence des poètes, ayant entrepris une œuvre plus ardue que fructueuse, nous avons grandement séparé le jugement divin des critiques humaines, puisque dans toute affirmation, ou même dans la mesure du possible, dans toute explication, si l’on doit fauter en quelque part, pour un clerc récitant, il n’est pas plus salutaire de suivre la pompe que la règle, ni plus sûr de boiter sur le pied d’un poème que sur la trace de la vérité. En effet, la liberté de l’éloquence n’est pas excusée dans le fait de commettre un péché. Car, si pour toute parole oiseuse qu’auront proférée les hommes, ils seront forcés de rendre compte, il est tout à fait évident d’admettre qu’un mot utilisé après réflexion et considération sera une offense particulièrement grave si la loi de l’éloquence a été préférée aux lois de la vie.

    Avit de Vienne, Vie de sainte Fuscinula 6-7 (SC 546, p. 220-223)

    6. Alors qu’elle allait vers ses trois ans, il la consacra à Dieu dans un couvent de moniales. Sur sa fortune personnelle, par une admirable contribution, il fit construire dans les alentours charmants de la ville un monastère en l’honneur des saints Gervais et Protais ; il y établit avec sollicitude cent cinquante vierges dédiées à la véritable sainteté et à la chasteté, afin qu’elles fussent seulement au service de Dieu. Il nomma la plus glorieuse d’entre elles, Aspidia, comme abbesse ; et ensuite, afin qu’elle embrassât la règle de vie d’une moniale, il recommanda à ladite sainte Aspidia la glorieuse vierge Fuscinula.

    7. La très sainte vierge Aspidia, par les nourritures spirituelles et l’observance de la chasteté consacrée, s’appliqua, avec un zèle viril, à parfaire la formation de Fuscinula pour qu’elle devînt une jeune mère spirituelle grâce à une connaissance très approfondie et aux exemples de la foi. La sainte et vénérable vierge Fuscinula obéit de bon gré aux préceptes de sa supérieure, elle l’embrasse en lui obéissant, elle la loue en l’embrassant. Nulle faveur d’un gain honteux, nul charme de la jeunesse, nul vice corporel ne purent la dévoyer de sa promesse de virginité, mais, comme une bonne enfant, elle se soumit à son autorité et elle contracta un véritable mariage, consacré par une dot éternelle jusqu’au jour de sa mort.

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