• SC 140

    Rufin d'Aquilée

    Les Bénédictions des Patriarches

    décembre 1968

    Introduction, texte latin, notes et commentaire par Manlio Simonetti. — Traduction de H. Rochais revue par P. Antin.

    Le texte latin est celui de l’édition dans le Corpus Christianorum de Dom Dekkers, 1951.

    ISBN : 9782204032797
    165 pages
    L'interprétation messianique du chapitre 49 de la Genèse, par un Italien admirateur d'Origène, autour de l'an 400.

    Présentation

    Sous le nom Bénédictions des Patriarches ou de Jacob, on a désigné le chapitre 49 de la Genèse, où Jacob, après avoir réuni autour de lui ses fils, leur adresse avant de mourir ses dernières paroles. En milieu chrétien, ce texte fut interprété très tôt comme une prophétie sur le messie. À la demande de son ami Paulin de Nole, Rufin composa une interprétation messianique complète des bénédictions, qui nous est parvenue avec les lettres de Paulin.

    Le mot des Sources Chrétiennes

    Commentaire du chapitre 49 de la Genèse, traditionnellement nommé « Bénédictions des Patriarches » ou « Bénédictions de Jacob », rédigé à la demande de son ami Paulin de Nole, probablement en 407-408.

    L’interprétation messianique, limitée chez les Juifs à quelques versets, est ici étendue à l’ensemble du chapitre, comme cela semble avoir été de règle en milieu chrétien dès avant le IIIe siècle. À la manière d’Origène, dont l’influence est chez lui visible, Rufin propose du texte une triple interprétation, d’abord selon le sens littéral et historique, puis au sens typologique et enfin au sens moral.

    Jean-Noël Guinot

    Œuvre(s) contenue(s) dans ce volume

    De benedictionibus patriarcharum

    Rufin d’Aquilée est surtout connu comme le traducteur d’Origène en latin, mais il est également l’auteur d’œuvres originales. En 407 ou 408, son ami Paulin de Nole venait de lire le chapitre 49 de la Genèse, traditionnellement appelé « bénédiction des patriarches » ou « bénédiction de Jacob », car il rapporte les dernières paroles que le patriarche Jacob adressa à ses fils avant de mourir. Paulin demanda à Rufin un commentaire susceptible d’éclairer les difficultés de ce chapitre, spécialement le v. 11. Rufin répondit avec une explication complète de la bénédiction de Juda, ce qui donna à Paulin le désir de lire un commentaire de l’ensemble : l’échange épistolaire explique la structure originale de l’ouvrage ; c’est la raison pour laquelle il figure dans le volume, avant le commentaire proprement dit.

    Le De Benedictionibus Patriarcharum de Rufin nous est parvenu dans un manuscrit en onciale du vie siècle (ou peut-être de la fin du ve), actuellement conservé à Vienne (Vindebonensis 847). Le texte en est excellent, quasiment sans erreur ; malheureusement, plusieurs feuillets sont perdus ou détériorés. Pour le livre I, un manuscrit de Vienne (le n° 6189), permet de combler les lacunes. L’édition publiée par A. de la Barre (Paris, 1580) est l’unique source intégrale du traité ; il a utilisé un manuscrit du Mont-Dieu aujourd’hui perdu, mais qui avait été copié sur le Vindebonensis 847 avant la perte des feuillets. La tradition indirecte, l’Expositio in Heptateuchum de Jean Diacre et l’Homélie pseudo-origénienne 17 sur la Genèse, atteste que l’œuvre était connue au Moyen-âge.

    Le volume reproduit l’édition publiée par Dom Dekkers en 1951 dans le Corpus Christianorum, Series Latina 20, p. 189-228 ; le lecteur peut s’y reporter pour consulter l’apparat critique.

     

    Parmi les bénédictions des fils de Jacob, celle adressée à Juda a très tôt fait l’objet d’une interprétation messianique. Le Talmud de Babylone et le Midrash sur la Genèse y voient une référence précise au Messie. À la suite d’Ap 5, 5 (Il a remporté la victoire, le lion de la tribu de Juda !), les auteurs chrétiens ont, dès le iie siècle, interprété Gn 49, 9-10 à la lumière du Christ. L’interprétation typologique s’est ensuite étendue à tout le chapitre 49. Même si le détail des commentaires varie notablement d’un auteur à l’autre, tous y voient l’annonce du Christ et des débuts de l’Église.

    Rufin propose une triple interprétation de Gn 49 : l’interprétation littérale rapporte le texte des Bénédictions aux événements de la vie des Patriarches et des tribus qui ont pour éponymes les fils de Jacob ; l’interprétation typologique rattache les Bénédictions à la vie de Jésus, à la diffusion de l’Église naissante et à l’opposition des Juifs ; l’interprétation morale se rapporte à la vie intérieure du chrétien, à sa lutte contre le péché et à l’ascèse tendue vers la perfection intérieure. Rufin s’inspire en cela Origène, dont il expose les principes exégétiques au livre I, 11. De ses nombreuses traductions de l’Alexandrin, il a également conservé une sensibilité philologique à la lettre du texte biblique, rare chez les auteurs Latin (Jérôme excepté), un goût pour l’exégèse basée sur les noms de personnes, et l’habitude de rejeter les interprétations littérales présentant des difficultés et de soutenir ses commentaires de l’autorité d’autres passages scripturaires.

    Nous n’avons pas conservé d’autre commentaire moral des Bénédictions des Patriarches : Rufin est donc particulièrement original quand il reconnaît dans les différentes bénédictions les étapes du cheminement de l’âme humaine vers la libération du péché et la perfection. Au contraire, les interprétations littérales et spirituelles s’inscrivent dans une tradition bien établie, même s’il est difficile d’identifier des sources à proprement parler, étant donné la liberté avec laquelle Rufin use des textes de ses devanciers.

    Le volume s’ouvre avec la lettre adressée à Rufin par Paulin de Nole en 407-408. Paulin, qui se met à l’étude du grec, interroge son ami sur Gn 49, 11 (Liant à la vigne son ânon, et au cilice le petit de son ânesse). Rufin répond dans le De benedictionibus patriarchum I à la question de Paulin sur Gn 49, 11 en distinguant deux difficultés. La première (I, 4) est l’interprétation du terme cilicium, mis ici à la place de palmes en raison d’une mauvaise translittération du terme grec. La seconde est le sens général du verset, qu’il expose en expliquant la bénédiction de Juda en son ensemble, d’abord selon le sens historique et typologique (I, 5-10), ensuite selon le sens moral (I, 11). Paulin avait eu plus que ce qu’il avait demandé, mais la lecture du commentaire de la bénédiction de Juda lui donna le désir de connaître l’interprétation des autres bénédictions : il écrivit en ce sens à son ami  (Epistula Paulini ad Rufinum II). Après une brève introduction de caractère général, Rufin commente une à une les autres bénédictions, sous le triple aspect littéral, typologique et moral (De benedictionibus patriarcharum II).

    Extrait(s)

    Paulin, Lettre à Rufin I, 3 (SC 140, p. 37)

    Au moment même où j’écrivais ces choses, m’est tombé sous les yeux, au hasard d’une lecture proposée, ce chapitre de Jacob, dans la Genèse, où Juda reçoit sa bénédiction. Et puisque le Seigneur me donnait cette occasion on ne peut plus opportune, il m’a plu de frapper, après un temps, à la porte de ton cœur. Si donc tu m’aimes, ou plutôt puisque ton amour est grand, je te prie de m’écrire comment tu entends ces bénédictions des Patriarches. Et si tu sais toi-même quelques passages, en elles, dont le sens soit difficile et qui vaillent la peine d’être connus, veuille me le faire savoir ; et en particulier sur ce chapitre où il est dit : Liant à la vigne son ânon, et au cilice le petit de son ânesse. Qui est son ânon, qui est l’ânesse et qui le petit de l’ânesse ? Et pourquoi son ânon est-il attaché à la vigne, tandis que le petit de l’ânesse l’est au cilice ?

    Rufin, La bénédiction des patriarches I, 11 (SC 140, p. 63-65)

    Il est vrai que l’Écriture divine doit contenir la science des mystères ; il est vrai aussi qu’elle doit informer les habitudes et les actions de ceux qui l’apprennent – car ainsi dit la Sagesse par la bouche de Salomon : « Écris pour toi ces choses deux et trois fois dans ton cœur » ; et l’arche construite par Noé, on ordonne de la faire à deux et trois étages – ; efforçons-nous donc, nous aussi – après avoir, autant que nous pouvions les comprendre, disserté deux fois sur ces choses, selon l’histoire et selon le sens mystique – de discerner encore le sens moral, pour autant que le passage s’y prête, afin que les fervents des Écritures soient instruits non seulement de ce qui a été fait chez les autres et par les autres, mais aussi de ce qu’ils doivent faire eux-mêmes dans leur for intérieur.

    Paulin, Lettre à Rufin II, 2 (SC 140, p. 75)

    En vérité, l’importunité avec laquelle j’ai coutume de frapper à ta porte, même au milieu de la nuit, sans craindre jamais une rebuffade, me contraint à la réserve et à la mesure dans mes demandes. Pour le moment je te transmets ce mien souci qui est que tu daignes m’expliquer les bénédictions des douze Patriarches : déjà tu en as donné par écrit le début, en m’exposant la prophétie concernant la personne de Juda, et cela selon une triple interprétation, comme on t’y invitait ; daigne m’expliquer la suite selon l’ordre des autres fils, pour que moi-même je partage, grâce à toi, ta connaissance de la vérité, et que j’aie un garant de grande faveur et de grand renom devant ceux qui, ayant de moi une opinion surfaite en raison du travail que je suis obligé d’accomplir, auraient l’intention de me consulter : alors je pourrai donner des réponses divines selon ton esprit plutôt que des inepties venant de mon propre fond. Que la grâce de Dieu, telle qu’elle est avec toi, y demeure à jamais, mon frère unanime dans le Christ.

    Rufin, La bénédiction des patriarches II, 24 (SC 140, p. 117)

    En ce qui concerne la troisième explication, l’interprétation du nom de Nephtali est celle-là même qu’exprime son père en le bénissant, c’est-à-dire soit « arbre qui s’étend », soit « vigne ». Notre homme donc, celui-là qui peu auparavant était nourri de pain gras et en procurait de la nourriture aux princes – pain qui conforte le cœur de l’homme – maintenant et en conséquence, le Christ, vigne véritable, lui a procuré le fruit splendide, à savoir celui grâce auquel il réjouit à présent de vin le cœur – qu’il avait conforté de pain. Dans l’un et l’autre cas, il me semble être déjà parvenu à un tel degré de perfection qu’il peut même recevoir les sacrements du sacerdoce. Mais si nous préférons interpréter Nephtali « arbre » plutôt que « vigne répandue, lourde de beauté dans ses fruits », quel sera l’arbre lourd de beauté dans ses fruits, sinon la sagesse de Dieu dont Salomon dit : « C’est un arbre de vie pour ceux qui la saisissent » ?

    Errata

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    Texte concerné

    Correction

    Remarques

    42

    § 5 l. 18

     

    Omission : "Cela peut se rapporter à Juda lui-même ou aux rois qui semblent être issus de lui et qui, en règnant sur sa tribu, ont imposé leur domination sur le dos des ennemis. Mais cela..."