Penser l’âme au temps de son éclipse
Les ressources de l’anthropologie chrétienne
S’interrogeant sur la pertinence de la notion d’âme pour penser la spécificité humaine dans le contexte actuel de son effacement, dans l’ordre du vivant comme dans celui du rapport de l’homme à la technique, ce colloque revisite les ressources de l’anthropologie chrétienne de l’Antiquité à nos jours, à la recherche de pistes pour dire « l’incommensurable qu’ouvre l’humain dans le monde par sa fêlure d’infini » (F. Jullien).
Les vidéos du colloque sont accessibles en ligne sur la chaîne YouTube des Sources Chrétiennes:
https://www.youtube.com/playlist?list=PLl-wMAnFKnXEOvMEf5huHe1u3QEJ48IlB
Argumentaire détaillé
Aujourd’hui, il y a lieu de redéfinir en mots contemporains ce en quoi réside l’unicité de l’humain. Dans un contexte sociétal marqué par une domination de plus en plus affirmée des sciences de la nature dans le champ des savoirs, et alors que les sciences humaines perdent du terrain, l’identité humaine devient floue. Elle est marquée d’un double effacement : la frontière avec les autres vivants est contestée, et l’irréductibilité de l’esprit à l’univers des machines se voit mise en doute. L’ordinateur et ses développements espérés sont le modèle qui prévaut peu ou prou en matière anthropologique. Ainsi l’imaginaire du robot humanoïde monte en puissance dans la culture et certains cercles de pensée, dont l’influence tend à se renforcer, présentent comme programme scientifique et politique du futur l’homme augmenté, le transhumain et même le post-humain. Dans ce contexte où le sens de l’homme s’érode à vitesse accélérée, il y a urgence à une pensée créative en matière anthropologique, tout à la fois sensible aux enjeux de la vie en société et sachant mettre à profit diverses ressources, qui ont eu droit de cité dans la culture au fil de son histoire. La conception dualiste de l’âme par exemple, qui l’oppose au corps sensible et la constitue en une instance qui n’a d’absolu que d’être déliée, isolée, coupée des riches singularités de l’existence, ne demeure-t-elle pas à l’arrière-plan de la pensée moderne ? Quant à la doctrine de l’homme image de Dieu, enracinée dans la pensée biblique et l’héritage philosophique, cœur de l’anthropologie patristique de l’Antiquité et du Moyen Âge, a-t-elle encore quelque chose à nous dire face à des pensées qui ne s’ouvrent pas sur l’altérité, du gnosticisme au transhumanisme ? Les efforts qui se déploient de l’Antiquité à l’époque moderne pour penser la relation de l’âme au corps, le lien entre sens, émotions et intelligence, ou encore, dans le christianisme, le rôle de la créature dans l’œuvre (continuée ?) d’un Créateur, les paradoxes d’une foi conjointe en la résurrection des corps et l’immortalité de l’âme, n’ont-ils pas encore une fécondité ?
C’est justement sur la notion d’âme, majeure dans l’anthropologie de l’Occident et du Proche-Orient, à la jonction de la philosophie et du christianisme, que ce colloque désire se centrer. La période contemporaine assiste sans conteste à une « éclipse de l’âme » (L. Bossi). Ce concept est délaissé non seulement par les philosophes et les psychologues, mais aussi, de façon plus surprenante, par les théologiens. La rencontre d’instances laïques et religieuses dans la commune déshérence de l’âme, que nous devons tenter d’expliciter par une approche pluridisciplinaire, tend à montrer qu’il y va du devenir en son entier de la civilisation occidentale, qui a vu peu à peu l’idée d’historicité de tout existant s’imposer à l’horizon des savoirs et de la culture. Le surgissement de cette idée a sans aucun doute déstabilisé le cadre anhistorique-métaphysique de la pensée et ainsi fragilisé la conception substantialiste et donc intemporelle de l’âme, active au sein des métaphysiques tant philosophiques que religieuses. Pour autant, l’époque contemporaine voit aussi fleurir de multiples formes du développement du « soi » qui appellent une réflexion sur l’ipséité. Par ailleurs, « l’âme » en tant que telle n’a pas complètement disparu du paysage mental de nos sociétés, où la notion s’atteste à travers les usages courants dans une sorte de poétique en résistance au matérialisme, comme en attente d’essais de pensée, qui relèvent à nouveau ce défi de l’humain essentiel.
Rendre sens à l’âme sans dénier la condition vulnérable et historique, voilà qui engage la pensée dans une voie irréductible aux projections transhumanistes d’un être sorti de l’homme, invulnérable et sempiternel : y aurait-il, ou non, dans la tradition des pensées de l’âme au sein du christianisme des ressources pour penser une telle confrontation? Pour cette enquête, le colloque croisera mise à l’épreuve des doctrines anciennes et souci pour le présent.
Trois questions serviront de fil rouge à toutes les interventions :
- Peut-on penser en l’âme, en relisant les doctrines classiques de son impassibilité ou de son immortalité, une vulnérabilité ou une finitude ?
- Augmentation ou divinisation : quelle place donner à l’a/Autre dans le développement de l’âme ?
- Au-delà du dualisme : comment concevoir aujourd’hui l’unité de l’humain dans ses multiples dimensions (corps, âme, esprit) ?
MERCREDI 16 MARS (18h-19h30)
Conférence inaugurale : Résister au grand rabattement, ou d’un minimum métaphysique pour introduire à l’« âme » par François Jullien
JEUDI 17 MARS (8h45-17h30)
8h45 Ouverture du colloque par Olivier Artus (UCLy)
Problématique contemporaine (9h-12h30)
Présidence : Laurence Mellerin (CNRS, HiSoMA, Sources Chrétiennes)
9h La théorie de l’esprit du transhumanisme : un dualisme du corps et de l’âme ? par David Doat (Université Catholique de Lille)
9h25 Pas de psychanalyse sans âme par Jean-Michel Hirt (Université Paris 13, Association Psychanalytique de France)
9h50 L’âme dans les spiritualités contemporaines par Jean-Marie Gueullette (UCLy)
10h15 Discussion
10h45 Pause
11h15 De l'âme du langage, la parole. Considérations sur l'existence vulnérable par Pascal Marin (UCLy)
11h40 L’âme face aux neurosciences par Stephanie Clarke (Service de neuropsychologie et de neuroréhabilitation, CHUV, Lausanne)
12h05 Discussion
Antiquité et Moyen Âge (14h-17h30)
Présidence : Élie Ayroulet (UCLy)
14h00 Psukhê ek tôn stoikheiôn ou l’âme paradoxale par Izabela Jurasz (CNRS, Centre Léon Robin) en visio-conférence
14h25 Entre Esprit et chair : l'inconfort de l'âme. Éléments d'enquête à travers la patristique latine par Paul Mattei (Université Lyon 2, HiSoMA, Sources Chrétiennes, Lyon ; Istituto Patristico « Augustinianum », Rome)
14h50 Entre le corps et Dieu. Le statut intermédiaire de l’âme dans la pensée de saint Augustin par Giovanni Catapano (Università degli Studi di Padova) en visio-conférence
15h15 Discussion
15h45 Pause
16h15 Sensus, imaginatio, ratio, intellectus, intelligentia : les cinq puissances de l'âme de Boèce aux auteurs du XIIe siècle par Caterina Tarlazzi (Ca' Foscari, Venise)
16h40 En avoir ou pas ? L'âme, un concept théologique par Olivier Boulnois (EPHE, PSL, LEM, UMR 8584)
17h05 Discussion
VENDREDI 18 MARS (9h-17h30)
De la fin de l’Antiquité à la Renaissance (9h-12h30)
Présidence : Bernard Meunier (CNRS, HiSoMA, Sources Chrétiennes)
9h00 Un dialogue entre raison et passions de l’âme est-il possible ? Réflexions à partir de la pensée de Maxime le Confesseur par Élie Ayroulet (UCLy)
9h50 Thomas d’Aquin : l’âme en tension par Camille de Belloy (UCLy)
10h15 Discussion
10h45 Pause
11h15 Mens sive anima, l’âme forme substantielle et pensée dans quelques passages des Dialogues de l’idiot sur la sagesse et l’esprit de Nicolas de Cues : à mi-chemin entre la scolastique et Descartes par Christian Trottmann (CNRS, Centre d’Études Supérieures de la Renaissance)
11h40 Les ailes de l’âme : un problème renaissant par Stéphane Toussaint (Centre André Chastel) en visio-conférence
12h05 Discussion
Époque moderne et contemporaine (14h-17h30)
Présidence : Camille de Belloy (UCLy)
14h00 Mon âme et moi. Réflexion sur la psychologie des Essais de Montaigne par Thierry Gontier (Université Lyon 3)
14h25 Anatomie de l’âme – Blaise Pascal par Laurent Thirouin (Université Lyon 2)
14h50 Du « je » à l’âme en phénoménologie par Emmanuel Housset (Université de Caen Normandie)
15h15 Discussion
15h45 Pause
16h15 Le rapport de l’âme et de l’esprit dans l’idéalisme allemand et le spiritualisme français par Jean-Louis Vieillard-Baron (Université de Poitiers)
16h40 L'expérience de l'âme chez Edith Stein : de la phénoménologie à la mystique par Bénédicte Bouillot (Centre Sèvres, Paris)
17h05 Discussion
SAMEDI 19 MARS (9h-15h30)
Mystique et poétique de l’âme (9h-12h30)
Présidence : Pascal Marin (UCLy)
9h L'âme et le « piège de la beauté » chez Simone Weil : la folie de l'amour comme source d'ascension spirituelle par Massimiliano Marianelli (Università degli Studi di Perugia)
9h25 La réhabilitation de l’âme chez François Cheng par Emmanuel Gabellieri (UCLy)
9h50 : Des personnages se découvrent une âme. Variations métaphysiques sur Bruno Dumont par Christine Chazal (Université Lyon 3)
10h15 Discussion
10h45 Pause
11h15 L’âme médiatrice dans la poésie contemporaine par Jean-Pierre Lemaire
11h40 Corps, âme, esprit : sculpter vers l’alliance par Anne-Élodie Meunier
12h05 Discussion
Conclusion du colloque (14h-15h30)
Table ronde avec l’ensemble du comité scientifique : Élie Ayroulet (UCLy) ; Camille de Belloy (UCLy) ; Pascal Marin (UCLy) ; Laurence Mellerin (HiSoMA, Sources Chrétiennes) ; Bernard Meunier (HiSoMA, Sources Chrétiennes) ; Riccardo Rezzesi (UCLy) ; David Tiémélé (UCLy)
Ce colloque est porté par le pôle 1 " Théologie, philosophie et sciences religieuses " de l’Unité de Recherche Confluence Sciences & Humanités (EA 1598) et l’Institut des Sources Chrétiennes (HiSoMA, CNRS UMR 5189), avec la collaboration du pôle 2 " Bible, littératures et cultures antiques".