Soumis par Guillaume Bady le
Type d'actualité
Titre

Marguerite Harl (1919-2020)

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Texte
Marguerite_Harl_avec_Jean_Danielou_mars_1973
Marguerite Harl en mars 1973 (au centre, Jean Daniélou)

Marguerite Harl (3 avril 1919 - 30 août 2020), en un bon siècle de vie et de fécondité intellectuelle, est devenue une figure exceptionnelle pour la patristique grecque, le judaïsme hellénistique et la Bible grecque, en France et au-delà.

Née à Dax, Marguerite Bayle épouse en 1951 Jean-Marie Harl, dont elle a trois enfants. Tôt confrontée à la mort de son mari en 1965, puis de l’un de ses fils en 1970, elle conjugue vie de famille et travail universitaire, y compris en recevant ses collègues chez elle, à Paris ou à Chamonix.

Agrégée de lettres classiques en 1941, elle soutient à Paris en 1957 sa thèse sur Origène et la fonction révélatrice du Verbe incarné, publiée en 1958[1]. Dès lors, elle enseigne le grec à la Sorbonne, jusqu’en 1986 – lui succéderont tour à tour Jean Bernardi, Monique Alexandre et Olivier Munnich. Congrès d’Oxford, colloques sur Origène, sur Grégoire de Nysse, collection de La Bible d’Alexandrie… En France comme à l’étranger, elle fait progresser et rayonner les études patristiques et bibliques. Elle attire, forme, transmet, lance, fonde, accompagne, organise, anime, encourage – marquant près de trois générations d’étudiants et faisant, à l’instar d’Henri-Irénée Marrou, son directeur de thèse, entrer à l’Université française l’Antiquité grecque tardive et la Septante. Elle incarne en ce domaine ce qu’on pourrait appeler une « école française », toute d’humanisme, de science critique et de respect des textes.

Traductrice du Quis rerum divinarum heres sit de Philon d’Alexandrie (OPA 15, 1966), elle voit son nom imprimé sur quatre volumes des Sources Chrétiennes : Clément d’Alexandrie, Le Pédagogue I (SC 70, 1960, pour la traduction), Chaîne palestinienne sur le Psaume 118 (SC 189-190, 1972), Origène, Philocalie 1-20 Sur les Écritures (SC 302, 1983). Plus largement, elle assure pendant de nombreuses années, en concertation avec Claude Mondésert, une forme de « direction » de certains projets de volumes grecs, en particulier ceux de Grégoire de Nysse.

Les Sources Chrétiennes conservent d’elle une correspondance nourrie, de 1957 à 1991 pour le courrier postal, continuée ensuite par courriel. La première pièce remonte au 19 avril 1957, lorsque C. Mondésert, rentré bredouille de Paris, lui écrit : « Je comptais vous rendre visite pour vous parler de vos travaux, en particulier vous demander la date de votre soutenance, renseignement qui intéresse aussi le Père de Lubac, mon voisin dans cette maison-ci, et examiner enfin avec vous la possibilité d’une édition du Peri Archôn d’Origène, dont une partie constitue, si je ne me trompe, votre petite thèse. » Plus de vingt ans et des dizaines de lettres plus tard[2], une fois cette œuvre publiée par Gilles Dorival, Alain Le Boulluec et elle aux Études Augustiniennes, le jésuite lui en adresse les livres I et II publiés par Manlio Simonetti et Henri Crouzel en Sources Chrétiennes, et M. Harl lui répond le 17 janvier 1979 : « Mon Père, la gentillesse de votre envoi, et la présentation si amicale de notre traduction du Traité d’Origène[3], tout cela me touche infiniment en attestant, encore une fois, votre bienveillance. Du fond du cœur, je vous remercie. Vous savez que vous me comptez parmi ceux qui admirent l’œuvre des Sources Chrétiennes et la façon dont vous la faites progresser. C’est un travail fantastique, qui permet à nos études de vivre. Je vais fêter samedi prochain le 20e anniversaire du 1er cours de ‘grec chrétien’ à la Sorbonne. Toutes ces années de patristique grecque m’ont permis d’initier en nombre croissant d’étudiants à notre domaine et votre travail est pour eux de la plus grande importance. »

Selon les restrictions dues à la crise sanitaire, une cérémonie d’adieu à Notre-Dame d’Espérance, à Paris, le 3 septembre 2020 – la veille de son inhumation à Argentière (Haute-Savoie) –, a réuni sa famille, ses collègues et amis. On a pu y compter quelque 70 personnes. À l’exemple des « Septante » traducteurs de la Bible grecque, et à la suite de Marguerite Harl qui en a rassemblé autour d’elle un si bon nombre, puissions-nous, à notre modeste place, saisir, traduire le sens des choses et, comme elle, transmettre l’amour des textes.

Guillaume Bady


[1] Une édition revue et augmentée est parue en 2019, aux bons soins de Gilles Dorival, Alain Le Boulluec et Lorenzo Perrone.

[2] Y compris, le 8 avril 1980, un billet pour s’assurer que C. Mondésert n’allait pas lancer lui-même une traduction française de la Septante, car – « les grands esprits » s’étant bel et bien « rencontrés » – il semble avoir eu la même idée, avant, bien entendu, de se ranger au projet qui allait être la Bible d’Alexandrie.

[3] Origène, Traité des principes : Peri archôn, traduction de la version latine de Rufin, avec un dossier annexe d’autres témoins du texte, Paris 1976.