Soumis par Guillaume Bady le
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Pierre Monat (1934-2020)

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Pierre Monat, qui était né le 9 juillet 1934, est décédé le 5 juillet 2020. Professeur à l’Université de Besançon, il a consacré une activité de plusieurs dizaines d’années au latin, plus précisément au latin tardif et chrétien, dans les deux voies de la recherche scientifique, mais aussi de l’initiative pédagogique, car il fut un grand professeur, dont ses anciens étudiants gardent un souvenir admiratif et reconnaissant, aussi bien qu’un vrai savant.

Sa thèse sur Lactance et la Bible. Une propédeutique latine à la lecture de la Bible dans l’Occident constantinien (publiée en deux volumes aux Études Augustiniennes en 1982), « livre d’une probité philologique exemplaire » écrivait le recenseur J. Doignon, lui avait assuré une place incontestée parmi les « lactanciens » ; il est aussi l’éditeur, aux Sources Chrétiennes, des livres I (SC 326, 1986), II (SC 337, 1987), IV (SC 377, 1992), V (SC 204-205, 1973) des Institutions divines. Sa sollicitude s’étendit également à Firmicus Maternus qu’il édita en trois volumes dans la Collection des Universités de France entre 1992 et 1997 ; mais encore à Hildegarde de Bingen (Livre des subtilités des créatures divines, deux volumes, 1988-1989 ; Scivias : « Sache les voies » ou « Livre des Visions », 1996 ; Les causes et les remèdes, 1997) ; enfin à Augustin, Raban Maur, Claude de Turin[1], Angelome de Luxeuil et Pierre le Mangeur, sans oublier Isidore de Séville et Bède le Vénérable[2].

L’exploration des différentes phases de la réception de la Bible dans la pensée tardo-antique et médiévale le conduisait naturellement à se préoccuper de la manière dont nos contemporains eux-mêmes lisaient ou ne lisaient pas le(s) Livre(s), et des attitudes que devaient, en conséquence, adopter les spécialistes parmi lesquels il tenait une place éminente. Il fut donc amené à écrire plusieurs ouvrages de « vulgarisation » – on parle d’une vulgarisation extrêmement savante – dans lesquels on voit se déployer toutes les ressources de ce pédagogue dans l’âme : une Histoire profane de la Bible. Origines, transmission et rayonnement du Livre saint (Perrin, 2013), des Balises pour la Bible. Un parcours humaniste (Jérôme Millon, 2017). Dans ces ouvrages, Pierre Monat ne répugne jamais à employer, souvent avec malice, les plus récentes trouvailles du langage contemporain ni à inventer lui-même une terminologie quelquefois inattendue, par exemple cette « débondieudisation » à laquelle il entend soumettre les textes sacrés.

C’est que cet homme souriant, cordial et sympathique, plein d’enthousiasme aussi bien dans sa recherche que dans la manière de la faire partager, apprécié pour cela de tous ceux qui eurent l’occasion de le côtoyer, avait toujours, non seulement dans son activité scientifique, mais aussi dans son travail de professeur, la volonté et la manière de transmettre. Pour cette raison, il ne quitta jamais la voie de l’innovation et de la recherche pédagogique, expérimentant et proposant sans cesse, en direction des élèves, des étudiants et des enseignants, des outils pédagogiques d’abord diffusés par l’ARELAB dont il fut un membre influent. Son recueil Femmes romaines parut chez Magnard en 1989. Dans ses Exercices de latin (PUF, 2002), l’auteur, après avoir fait faire allègrement à ses lecteurs différents « échauffements », « gammes » et « variations », ne renonce pas au plaisir de leur proposer à la fin, dans ses exercices de thème, la traduction de « La mauvaise réputation », des « Trompettes de la renommée » et même, mieux ou pire selon les yeux qui lisent, du « Gorille » (au moins le début), pour lequel son corrigé propose un texte latin qu’il est possible de chanter sur l’air de Brassens ; il ne craint pas non plus de faire traduire en latin la légende de dessins humoristiques qu’il a reproduits.

Pierre Monat, qui n’était pas épicurien, pratiquait le λάθε βιώσας [« Vis dans la discrétion »]. Il ne recherchait pas les tribunes des colloques ni les triomphes de l’Université. Il préférait visiblement faire son travail à l’endroit et depuis l’endroit où il s’était trouvé placé ; libre ensuite à qui le voulait d’en profiter à son aise. Sa discrétion, qu’il a conservée jusqu’au bout, endurant cinq dernières années bien difficiles, est une raison supplémentaire de faire vivre le souvenir de ce philologue humaniste qui fit honneur à notre corporation.

Jean-Yves Guillaumin, professeur émérite de l’Université de Franche-Comté

 


[1] Raban Maur, Claude de Turin, Deux commentaires sur le livre de Ruth (SC 533, 2009).

[2] Bède le Vénérable, Histoire ecclésiastique du peuple anglais (SC 489-491, 2005).