Nom

P. Bernard de Vregille, s.j.

Date de naissance et de mort
1915 – 16 septembre 2011
Texte

Un historien comtois au service des Sources chrétiennes

(extraits de la présentation liminaire du Père de Vregille par René Locatelli, Gérard Moyse et Jean-Noël Guinot pour son recueil d'articles)

Bernard de Vregille

C'est une collaboration de près d'un demi-siècle que cet hommage nous donne le plaisir d'évoquer. Pour l'un des deux signataires comtois de ces lignes, la gestation de l'Histoire de Besançon, dont le Père de Vregille fut l'un des principaux auteurs, pour l'autre, la préparation de sa thèse d'École des chartes, dont le Père inspira le sujet, furent en effet l'occasion première de nouer avec lui des contacts personnels et, très vite, d'apprécier ses exceptionnelles qualités : une connaissance parfaite des sources, une mémoire infaillible, la rigueur dans la démarche historique, ne laissant place à aucune fantaisie, le souci d'un formulation toujours précise et nuancée, un style concis et châtié, reflet de l'homme tout en discrétion, retenue et respect de l'autre. Un champ de recherche commun, l'histoire religieuse comtoise du Moyen Âge, ne fit que renforcer ensuite ces liens intellectuels, suscitant amitié et estime réciproques : sans cette connivence, le long et patient chantier que constitua pour ces trois auteurs, sous la direction éclairée du Dr. Dietrich Lohrmann d'Aix-La-Chapelle, le premier volume de Gallia pontificia, consacré au diocèse de Besançon, n'aurait pu être mené à terme.

Durant toutes ces années, les échanges assidus générés par cette entreprise nous mirent à même d'approfondir, en une saine émulation, les voies de l'érudition, dans le sillage d'une double tradition : germanique du fait même de la collection où s'insérait l'entreprise, et d'Ancien Régime, en raison de la personnalité de bien des érudits comtois dont nos sources étaient tributaires : parmi eux, en toute première ligne, les Chifflet. Lignage exceptionnel d'érudits, ceux-ci ont laissé à la postérité un nom fondé sur une œuvre considérable, qui demeure souvent encore une référence incontournable dans les domaines historique, archéologique et hagiographique. Marchant sur leurs traces, suscitant aussi leur redécouverte par ses propres recherches, le Père de Vregille se situe tout naturellement dans cette lignée au point d'incarner véritablement pour nous une figure comme celle du Père Pierre-François Chifflet, jésuite, hagiographe et historien comtois. C'est à tous ces titres que, comme lui, le Père de Vregille, par l'importance et la variété de son œuvre, marque l'histoire, et bien au-delà des seuls horizons comtois.

Ses recherches sur l'histoire religieuse sont, en effet, à replacer dans le cadre plus large de celles qu'il a conduites parallèlement sur les textes chrétiens du Moyen Âge occidental et leurs sources patristiques latines et grecques, au sein de l'Institut des Sources Chrétiennes. Quand il rejoignit, en 1966, à Lyon, l'équipe qui se constituait autour du Père C. Mondésert, la série des « Textes monastiques d'Occident » venait d'être lancée (1960). Le besoin se faisait sentir d'un spécialiste du monde médiéval pour orienter les choix éditoriaux et contrôler la qualité des manuscrits déposés en vue de leur publication dans la collection « Sources Chrétiennes ». Ce rôle de conseiller scientifique et de réviseur B. de Vregille l'a tenu jusqu'à ce jour avec une compétence reconnue, qui n'avait d'égale que sa discrétion. On peut dire sans exagération que la plupart des volumes de textes médiévaux, publiés depuis 1968 – soit près d'une centaine – sont un jour passés entre ses mains. Rares sont ceux qui n'ont pas bénéficié de remarques, de compléments ou de corrections, concernant le texte critique ou la traduction, qu'il savait toujours transmettre à l'auteur avec une infinie délicatesse, dans un esprit de collaboration totalement désintéressée. Ce travail de révision, les responsables de la Collection peuvent en témoigner, pouvait même aller si loin – sur la traduction ou l'annotation notamment –, qu'il eût été légitime que son nom figurât à côté de celui de l'auteur. Le plus souvent sa modestie et son respect du travail d'autrui s'y opposaient. Sa profonde connaissance des auteurs cisterciens, des lériniens, des victorins, et, pour le dire d'un mot, de toute la tradition monastique médiévale, explique qu'il suffit d'ouvrir un volume d'Isaac de l'étoile, de Guillaume de Saint-Thierry, de Bernard de Clairvaux, de Richard de Saint-Victor, d'Hilaire d'Arles ou d'Honorat de Marseille, pour s'apercevoir qu'un avant-propos, une notice, un index, un complément bibliographique, une annexe critique porte la marque, toute de précision et de concision, de B. de Vregille. On pourrait en dire autant de plusieurs volumes de textes patristiques, de Césaire d'Arles ou de Grégoire le Grand notamment.

Outre ce travail de l'ombre, dans le temps même où ses recherches sur les diocèses de Lyon, de Besançon et de Saint Claude, ou sur Hugues de Salins voyaient le jour, il éditait seul ou en collaboration plusieurs textes médiévaux et patristiques : en 1975 le Manuel pour mon fils de Dhuoda (SC 225) ; en 1978 et 1986 les deux derniers volumes des Œuvres spirituelles de Gertrude d'Helfta (Le Héraut, Livre IV, SC 255 et Livre V, SC 331) ; en 1986 encore, paraissait dans le Corpus Christianorum, Series Latina XIX, son édition – une editio maior –, en collaboration avec le Père L. Neyrand, du Commentaire sur le Cantique des cantiques d'Apponius. L'édition de ce même commentaire, allégée d'une grande partie de l'appareil critique du texte, paraîtra, dix ans plus tard (1997-1998), accompagnée d'une introduction, d'une traduction, de notes et d'index, en trois gros volumes de « Sources Chrétiennes » (SC 420, 421 et 430).

L'apport scientifique du Père de Vregille à la Collection et à l'Institut des Sources Chrétiennes s'étend en réalité bien au-delà des éditions de textes qu'il a données ou dont il a facilité la publication. Il faudrait dire encore ce que lui doit la constitution patiente et méthodique de la bibliothèque de l'Institut, l'homme affable et disponible qu'il savait être avec chacun lorsqu'il était fait appel à sa vaste culture et à sa mémoire sans faille comme à la plus sûre des « bases de données », ou l'aide qu'il apportait aux jeunes chercheurs. Lors de la semaine de formation organisée par l'Institut à l'intention des futurs éditeurs de textes anciens, il avait choisi, ces dernières années, de faire cette initiation, non plus à partir de la tradition manuscrite du commentaire d'Apponius, mais de celle de la Vie des Pères du Jura (SC 142) – il disposait de la reproduction de tous les manuscrits et le volume était passé entre ses mains –, une manière discrète de marquer son tropisme comtois.

Car l'attachement du Père à l'histoire de sa chère province natale a, tout au long des décennies, donné naissance à une constellation de précieuses contributions venant graviter autour de quelques ouvrages phares.

Outre l'Histoire de Besançon et Gallia Pontificia déjà évoquées, les Histoires des diocèses de Besançon et de Lyon également, ou encore Saint Claude, vie et présence, qui reflètent son esprit de collaboration, il faut évidemment saluer son opus magnum, sa thèse sur l'archevêque de Besançon Hugues de Salins (1031-1066), qui a profondément renouvelé notre vision du XIe siècle, motivant nos propres recherches, en amont comme en aval de ce pontificat.

À côté de ces ouvrages, de multiples articles parus dans des revues ou recueils français ou étrangers soulignent à la fois son audience internationale et la diversité de ses centres d'intérêt, pratiquement tous consacrés à l'espace bourguignon et comtois, certains davantage exploités que d'autres et sous des angles tantôt très spécialisés, tantôt plus généraux. La vocation même et la formation du Père de Vregille le disposaient tout naturellement aux travaux portant non seulement sur les jésuites (collèges de Besançon et de Dole à l'époque moderne, le Père Chifflet, bien sûr), mais encore sur la liturgie et l'hagiographie, qui occupent en effet une place prépondérante dans son œuvre. L'histoire liturgique est abordée à travers la publication de traités de prières, rituel, pontifical, libellus bisontin, sermon. Les recherches hagiographiques portent sur les grands saints locaux (Claude, Colomban, Donat, etc.). La grande attention de Père de Vregille aux sources et à leur tradition l'ont conduit à cultiver le domaine très spécialisé de la bibliologie, plus inattendu peut-être: bibliothèques médiévales comtoises, bibliothèque Bouhier, imprimeurs du Pin et de Besançon au XVIIe siècle (jusqu'à découvrir un exemplaire des fameuses « Heures de Pin »).

Mais, parallèlement à la pratique de ces disciplines très pointues, le Père de Vregille a multiplié les contributions à l'histoire plus générale des deux Bourgognes, principalement sous l'angle religieux, à travers certains personnages (archevêques de Besançon, Burchard de Fénis, Calixte II, Gerland, Halinard de Sombernon, Léon IX, Zacharie de Besançon), par le biais de quelques lignages (Chifflet, Joux, Montbéliard, Salins), à propos d'institutions (province ecclésiastique de Besançon, abbaye de Romainmôtier, chapitres de Besançon, Salins, sans oublier les édifices (cathédrale de Besançon, château de Joux, Saint-Lazare d'Autun et Vézelay).

Ce survol, si incomplet soit-il, donne une idée suffisamment explicite de l'œuvre du Père de Vregille qui court sur plus de soixante années et qui s'ajoute à ses occupations religieuses et professionnelles. À côté de son abondance et de sa diversité, il faut en souligner les qualités de rigueur, de nuance, de clarté fondées sur une grande familiarité des sources et sur une parfaite connaissance de l'historiographie, à laquelle son nom est désormais intimement lié, au même titre qu'un Jean Jacques ou un Pierre François Chifflet.

Bibliographie
Contenu
Texte
  • 2009 Vie de saint Victor d'Arcis, éd. et trad., SC 527, 2009.
  • 2007 Autour des Chifflet : aux origines de l'érudition en Franche-Comté, sous la direction de Laurence Lelibette et Paul Delssalle (Cahiers de la MSH Ledoux, 6), Besançon, Presse Universitaire de Franche-Comté, 2007, 258 p. : 5 contributions biographiques et bibliographiques
  • 2006 La Cathédrale Saint-Jean de Besançon, (Cahiers de la renaissance du Vieux-Besançon, 7), Besançon, 2006, 100 p.
  • 1998 Regesta Pontificum Romanorum. Gallia Pontificia. Répertoire des documents concernant les relations entre la papauté et les églises et monastères de France avant 1198, Vol. I, "Diocèse de Besançon", en collab. avec René Locatelli et Gérard Moyse, Göttingen, Vandenhoeck et Ruprecht, 370 p. : Le diocèse, Le siège épiscopal, Archevêché, Chapitres cathédraux, Chapitres et monastères urbains, p.23 à 129 ; Clercs et laïcs du Diocèse, p. 340 à 351.
  • 1997-1998 Apponius, Commentaire sur le Cantique des Cantiques, en collab. avec Louis Neyrand sj, éd. et trad. 3 vol. SC 420, 421, 430.
  • 1986 APPONII in Canticum Canticorum expositio, en collab. avec Louis Neyrand sj, coll. "Corpus Christianorum", Series latina, XIX, Turnhout, Brepols, 538 p.
  • 1986 Gertrude d'Helfta, Œuvres spirituelles, Le Héraut, t. V , éd. et trad. par Jean-Marie Clément, les Moniales de Wisques et B. de Vr, coll. "Sources chrétiennes n° 331", Cerf, Paris, 346 p.
  • 1983 Histoire des Diocèses de France, 16, Lyon, sous la direction de Jacques Gadille, Beauchesne, Paris, 359 p. Ch. I à III par B. de Vr., p. 11 à 49.
  • 1981 Hugues de SALINS, archevêque de Besançon, 1031-1066, Cêtre, Besançon, 484 p., xxxii pl., cartes.
  • 1981 Histoire de Besançon, sous la direction de Claude Fohlen, 2e éd. Cêtre, Besançon, 2 vol. 692 et 828 p., Livre II, Les origines et le haut Moyen-Age, par B. de Vr., p. 143-326.
  • 1978 Gertrude d'Helfta, Œuvres spirituelles, Le Héraut, t. IV , éd. et trad. par Jean-Marie Clément, les Moniales de Wisques et B. de Vr, SC 255.
  • 1977 Histoire des Diocèses de France, 6, Besançon et Saint-Claude, sous la direction de Maurice Rey, Beauchesne, Paris, 318 p. Ch. I à VI par B. de Vr., p. 9 à 52.
  • 1975 Dhuoda, Manuel pour mon fils, trad. par B. de Vr. et Claude Mondésert sj, SC 225", rééd. 1991, 1997.
  • 1960 Saint Claude. Vie et Présence, par Gustave Duhem, Georges Gros, Simon Ligier, André Rodot et B. de Vr., Lethielleux, Paris, 198 p. 2ème éd. 1977, Ch. II, Les "vies de saint Claude" et la vie de saint Claude, par B. de Vr. p. 23-70.