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SC 638
Tertullien
La résurrection de la chair
novembre 2023Introduction générale par Paolo Siniscalco. — Introduction au texte critique, texte latin, apparats et notes par Pietro Podolak. — Traduction par Madeleine Moreau
Ouvrage publié avec le concours du Centre National du Livre.Révision assurée par Guillaume Bady.ISBN : 978-2-204-15332-4663 pages«La chair, pivot du salut» : renversant plaidoyer du Carthaginois
Présentation
Composée vers 211-212, l’œuvre constitue sans doute le plus vibrant plaidoyer pour la chair du christianisme antique, dans la lignée de plusieurs traités sur la résurrection ou contre les hérésies. Affrontant philosophes païens et gnostiques, pour qui l’élément sensible et visible de l’être humain est absolument indigne et incapable d’être sauvé, l’auteur du traité De l’âme défend la chair comme « pivot du salut » en soulignant sa dignité, son identité, son intégrité jusqu’après la mort. Promoteur d’une vision équilibrée, incarnée, de la nature humaine, le Carthaginois fonde sa démonstration sur une exégèse approfondie des textes bibliques, ouvrant à une réflexion explicite sur la condition des ressuscités.
Paolo Siniscalco (1931-2022), professeur d’histoire du christianisme à l’Université La Sapienza, à Rome, et spécialiste de Tertullien, a aussi collaboré dans la collection à L’unité de l’Église de Cyprien de Carthage (SC 500).
Pietro Podolak, professeur invité à l’Institutum patristicum Augustinianum, à Rome, a publié une dizaine d’ouvrages patrologiques, en particulier sur Tertullien.
Madeleine Moreau (1920-2011), maître de conférences en littérature latine à l’Université de Grenoble, a fait paraître la traduction de cette œuvre dans la collection Les Pères dans la foi.
Le mot du directeur de Collection
C’est le cœur de la foi chrétienne qui se voit ici touché par Tertullien. Polémique, ce traité de 63 chapitres composé entre 211 et le début de 212 vise non seulement la philosophie païenne, mais aussi, et plus directement, la gnose de Valentin, Apelle et Marcion. C’est en effet autour de la chair que les débats les plus vifs ont lieu, puisque les païens et les gnostiques considèrent que l’élément sensible et visible de l’homme est absolument indigne et incapable de participer au salut. Tertullien articule tout son traité autour de ce sujet, en commençant par dénoncer la méthode trompeuse de ses adversaires, pour leur opposer une argumentation logique (c’est la première partie, des chapitres 4 à 17) et un recours à la « règle de foi », fondée sur l’interprétation ecclésiale des Écritures (c’est la deuxième partie, des ch. 18 à 51) et ouvrant des pistes sur la condition des corps ressuscités (ch. 52 à 62).
Le De resurrectione carnis de Tertullien se place dans la lignée de plusieurs traités Sur la résurrection, ceux attribués à Athénagore et à Justin, ou d’autres œuvres comme les traités Contre les hérésies d’Irénée de Lyon ou d’Hippolyte. Il revient également sur un sujet déjà abordé par l’auteur notamment dans La chair du Christ, le De anima, le Contre Marcion. L’originalité du Carthaginois consiste non seulement à consacrer un traité entier au sujet, mais à sa stratégie argumentative : tout d’abord une défense de la dignité de la chair, « pivot du salut » (chap. 8, 2, p. 303), puis une exégèse approfondie des textes bibliques, couvrant plus de la moitié du traité ; enfin, une réflexion sur la condition des ressuscités, avec l’esquisse d’une eschatologie « intermédiaire ». Tout en restant unique dans la littérature chrétienne antique quant à son sujet ou son titre – celui connu jusqu’ici, La résurrection des morts, a ici été corrigé –, ce plaidoyer pour ce qui fait « l’identité chrétienne » (ch. 8, 1, p. 301) aura une riche postérité, en particulier chez Jérôme.
De ce passage de relais, ce 24e volume de l’Africain dans la collection témoigne à sa façon : si Madeleine Moreau, traductrice du texte latin, était disparue en 2011, du moins Paolo Siniscalco, auteur de l’introduction générale, mais hélas décédé en 2022, a pu transmettre le flambeau à Pietro Podolak, à qui l’on doit une nouvelle édition critique et une importante annotation. À titre d’hommage, qu’il suffise ici, pour donner le goût de lire ce volume 638, de citer P. Siniscalco (p. 114) :
« Tertullien est aussi un écrivain baroque : il aime présenter un discours qui change continuellement, s’offre dispersé dans l’unité et n’a pas peur de la surprise et de la métamorphose, un discours qui se pare de touches brillantes et inattendues… »
Oui, encore aujourd’hui, et dans cette œuvre plus qu’en bien d’autres sans doute, les mots de l’Africain rendent un son inattendu.
Guillaume Bady
Œuvre(s) contenue(s) dans ce volume
Le traité rédigé entre 211 et 212 est transmis par 5 manuscrits du xie au xve s., dont le Trecensis dont l’importance a dans doute été majorée par le passé, par exemple pour le choix du titre, De resurrectione mortuorum, leçon à laquelle est ici préférée celle d’autres manuscrits, De resurrectione carnis.
La première partie (ch. 4-17) consiste en un éloge et en une défense de la chair, qui tire sa dignité de son étroite association avec l’âme dans les souffrances qui conduisent au salut ; sortie des mains de Dieu, elle ne saurait être livrée à la destruction : la toute-puissance de Dieu, objet d’un 2e argument, sera en mesure de restaurer ce qu’elle avait créé de rien, toute-puissance illustrée par le spectacle de la nature ou l’exemple du phénix. La justice de Dieu – 3e lieu d’argumentation – implique que le jugement concerne l’âme et le corps, étroitement liés dans la vie terrestre, même si l’âme subit seule les peines de l’au-delà antérieures à la résurrection La deuxième partie (ch. 18-51) est consacrée aux arguments bibliques, invoquant les témoignages des prophètes, des Évangiles, de Paul. La troisième partie (ch. 52-62) envisage la transfiguration des corps ressuscités selon l’image de la semence ; malgré le changement ils conservent leur caractère charnel et leur identité, nécessaire en termes de justice ; dans cette condition immortelle, les organes pourront avoir de nouvelles fonctions, plus célestes. En conclusion, Tertullien insiste sur l’idée que les corps ressusciteront dans leur identité et leur intégrité et que l’âme ne saurait être hostile à la chair.
Extrait(s)
ch. 8, 1-3, p. 301-303
Voyons à partir de la notion particulière d’identité chrétienne de quelle importante prérogative jouit auprès de Dieu cette substance vile et souillée. Il suffirait de noter qu’aucune âme absolument ne peut accéder au salut si elle n’a eu la foi tant qu’elle était dans la chair, tellement la chair est le pivot du salut. Lorsque l’âme est liée à soi par Dieu en vue de ce salut, c’est la chair qui fait que l’âme peut être choisie par Dieu. Mais la chair aussi est lavée pour que l’âme soit purifiée, la chair reçoit l’onction pour que l’âme soit consacrée, la chair est marquée d’un signe pour que l’âme soit protégée, la chair est couverte de l’ombre de l’imposition des mains pour que l’âme soit illuminée par l’esprit, la chair se nourrit du corps et du sang du Christ pour que l’âme aussi se repaisse de la force de Dieu. On ne peut donc séparer dans le salaire ce que le travail réunit. Car même les sacrifices agréables à Dieu, je veux dire les luttes de l’âme, les jeûnes, les repas différés et constitués d’aliments secs, et la saleté, qui sont l’accompagnement de tels exercices, c’est la chair qui les offre à son propre préjudice. La virginité également, le veuvage, la continence cachée dans le secret du mariage et une expérience conjugale unique sont des offrandes à Dieu prises sur les biens de la chair.
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