SC 631

Aline Pourkier, professeur honoraire de littérature grecque à l’Université de Bourgogne (Dijon), a publié L’hérésiologie chez Épiphane de Salamine, à Paris en 1992.

Tout le monde le cite, mais personne n’ose s’attaquer de front à lui : Épiphane, terreur des hérétiques, est-il aussi celle des patrologues ? Aline Pourkier, qui est quasiment la seule à s’aventurer à fond chez cet auteur, avec sa thèse publiée en 1992 et maintenant ce volume ouvre la voie à tous. Épiphane, ce Palestinien devenu évêque de Salamine (ou Constantia) à Chypre, a rédigé le Panarion, cette « boîte à remèdes » contre le venin des hérésies, entre 374 et 377/378. L’un des plus grands services que rend ici A. Pourkier est le résumé – en plus de 200 pages – des quatre-vingts hérésies traitées par l’hérésiologue en trois livres eux-mêmes divisés en tomes. Ce résumé est très précieux, car les notices de l’hérésiologue sont souvent d’un accès difficile. L’œuvre, en effet, dont l’établissement du texte est rendu malaisé du fait qu’elle a été transmise par très peu de manuscrits, est aussi fondamentale que peu facile à lire, compte tenu de la diversité des sources, de l’entrelacs des exposés et des documents cités, de la coexistence de la dénonciation et de la réfutation proprement dite, de son style coriace aussi.

De fait, un autre grand service rendu par A. Pourkier est, avec un texte grec renouvelant celui de K. Holl paru à Berlin en 1915, la traduction des 25 premières notices – traduction qui est parfois un défi, car le calame de cet araméophone de naissance, qui avait appris le grec dès l’enfance, ne prétend guère rivaliser avec les orateurs attiques. Ces 25 notices (se situant dans le tome I du livre I et au début du tome II), avec une lettre liminale et deux préfaces ainsi qu’un exposé Sur l’Incarnation et l’unique et seule foi en Dieu, entendent prémunir des plus anciennes « hérésies », même si elles sont antérieures ou extérieures au christianisme : barbarisme, scythisme, hellénisme, judaïsme, stoïciens, platoniciens, pythagoriciens, épicuriens, Samaritains, esséniens, sébuens, gorothéniens, dosithéens, hémérobaptistes, nasaréens, osséens, hérodiens, mais aussi simoniens, ménandriens, satorniliens, basilidiens, nicolaïtes… Les spécialistes du christianisme ancien comme les émules du capitaine Haddock pourront à loisir y puiser leur inspiration, tout comme les herpétologues que font rêver des noms de serpents comme « aspidogorgone » et « hydrops ».

Voilà donc enfin comblée, au moins en partie, une lacune de la collection, où, souvent unique par les documents qu’elle conserve, cette œuvre capitale pour la connaissance des tout premiers temps du christianisme, des divers mouvements religieux et du rapport avec le paganisme et le judaïsme, entre en résonance avec d’autres œuvres comme celles de Ptolémée, d’Irénée de Lyon, de Clément d’Alexandrie, de Tertullien ou d’Eusèbe de Césarée. Ce qui caractérise Épiphane, c’est sans doute son souci presque obsessionnel de l’unité ecclésiale, à travers des formules récurrentes et significatives, comme lorsqu’il parle de « l’unique vérité qu’est l’Église catholique et orthodoxe » (préface I, 5, p. 317) : cent venins, un antidote.

Guillaume Bady

Le plus important des ouvrages d’Épiphane, et ce pour quoi il était réputé comme le grand hérésiologue de son temps, est le Panarion ou « boîte à remèdes », composé entre 374 et 377/378 et transmis par au moins 7 manuscrits du ix^e au xvi^e s., sans compter la tradition indirecte et des fragments d’une version syriaque. Cette somme de quatre-vingts hérésies, en trois livres eux-mêmes divisés en tomes, est capitale pour la connaissance du christianisme des premiers siècles, des courants divers qui l’ont traversé, des polémiques et des débats doctrinaux qui ont opposé la « Grande Église » en voie de constitution à ceux qu’elle marginalisait ou excluait au moyen du grief d’hérésie. 

Ce volume contient le premier tome du livre I du Panarion, avec ses préfaces, qui compose un tableau des « hérésies » non chrétiennes (Hérésies 1 à 20 : barbarisme, scythisme, hellénisme, judaïsme, stoïciens, platoniciens, pythagoriciens, épicuriens, Samaritains, esséniens…), et, du tome II, les Hérésies 21 à 25 (simoniens, Ménandre, Satornil, Basilide, nicolaïtes) précédées de l’exposé Sur l’Incarnation.

Extrait de la Préface I, 1, p. 299-300 :

Comme nous devons vous indiquer le nom des hérésies, vous révéler leurs pratiques criminelles, semblables à des venins et à des poisons, et adapter en même temps des antidotes qui serviront de remèdes pour ceux qui ont été mordus et de préventifs pour ceux qui sont sur le point de tomber dans ce malheur, nous rédigeons la préface que voici pour les gens qui désirent s’instruire, en l’interprétant comme un Panarion, ou boîte à remèdes pour gens mordus par les bêtes venimeuses ; il est rédigé en trois livres, il contient quatre-vingts hérésies qui évoquent des bêtes malfaisantes ou des serpents. Mais unique après les quatre-vingts (Ct 6, 9.8) est la base de la vérité, ainsi que la doctrine, l’œuvre salutaire et la sainte fiancée du Christ qu’est l’Église; elle existe depuis toujours, puis, par la venue du Christ dans la chair, elle s’est révélée dans la suite des temps au milieu des hérésies.