• SC 594

    Martin de Braga

    Œuvres morales et pastorales

    février 2018

    Introduction de Guy Sabbah. Texte latin révisé et traduction de Jean-François Berthet et Guy Sabbah. Annotation de Laurent Angliviel de la Beaumelle, Jean-François Berthet et Guy Sabbah.

    Révision assurée par Catherine SyreGuillaume Bady.
    ISBN : 9782204127899
    370 pages

    Un « Sénèque » chrétien dans l'Espagne wisigothique du 6e siècle.

    Présentation

    Source importante sur l’Espagne à l’époque wisigothique et sur l’Église du royaume suève au milieu du VIe siècle, les œuvres de l’évêque Martin de Braga sont ici traduites pour la première fois en français, dans leur quasi totalité.
    Martin, né en Pannonie, après une longue pérégrination en Orient exerce son apostolat (552-579) en Galice, dans un royaume « barbare » situé à l’extrémité nord-ouest de la péninsule ibérique : après y avoir fondé le monastère de Dumium, il devient évêque de Braga, puis métropolitain de la province, où il jouit d’un grand prestige auprès de ses collègues évêques et du jeune roi catholique Mir.
    C’est à ce dernier qu’il adresse la Règle de la vie vertueuse, sorte de « miroir » du prince chrétien idéal, au centre du « plan d’évangélisation » que semble suivre son œuvre, écrite en latin : d’abord, trois traités ou sermons moraux fondés sur la loi naturelle (Pour repousser la jactance, De l’orgueil, De la colère), puis, après la Règle, une Exhortation de l’humilité, en tête d’un second groupe d’écrits pastoraux fondés sur la loi divine (Réformer les paysans, De la triple immersion, De la Pâque), couronné par trois poèmes de belle facture, dont un Epitaphium qu’il s’est composé lui-même.
    Stimulé par ses modèles littéraires – Sénèque surtout –, aussi bien qu’aimanté par l’exemple d’un autre Martin – celui de Tours –, « l’apôtre des Suèves » se révèle ici à la hauteur de sa réputation d’écrivain inspiré.

    Jean-François Berthet et Guy Sabbah ont enseigné le latin à l’Université Lumière-Lyon 2.
    Laurent Angliviel de la Beaumelle a enseigné l’histoire ancienne à l’Université de Picardie.

    Le mot des Sources Chrétiennes

    Une nouvelle figure fait son entrée dans la collection, qui précisément entend contribuer à mieux la faire connaître : Martin, évêque de Braga, né vers 510-520 et mort vers 579. Les sources sur l’Espagne wisigothique et l’Église à cette époque étant peu nombreuses, cette édition des œuvres presque complètes de Martin – n’y manquent que les traductions latines qu’il a réalisées d’un recueil grec de Sentences des Pères égyptiens et de canons orientaux –, revêt plus d’un attrait : un intérêt historique et spirituel, à l’évidence, et un intérêt littéraire tout autant, dont témoigne bien la traduction en français – la première qui soit de ces textes latins.
    Pannonien d’origine, Martin se forme en Orient et se fait moine. Celui qui sera appelé « l’apôtre des Suèves » est envoyé en Galice, au nord-ouest de la péninsule ibérique, où il fonde le monastère de Dume et devient évêque de Braga. La finesse de sa culture, latine et grecque, sa fermeté morale et sa réputation spirituelle lui valent un certain prestige auprès des autres évêques et du roi Mir lui-même.
    « Miroir du prince », la Règle de la vie vertueuse s’adresse précisément, et en termes dûment châtiés, à Mir, « Roi très clément » dont « l’âme aspire insatiablement aux coupes de la sagesse » et auquel « mon Humilité, écrit l’évêque (p. 169), est requise d’adresser (…), aussi quelconques soient-elles, des paroles de réflexion et d’exhortation ». Sorte de protreptique philosophique exhortant aux quatre vertus cardinales, ce traité de facture classique, et pourtant assez nettement christianisé, a longtemps été attribué à Sénèque.
    Le philosophe, il est vrai, est la principale inspiration de l’évêque dans plusieurs traités moraux, notamment Pour repousser la jactance, De l’orgueil, De la colère. Dans le premier, la diatribe contre l’universelle vanité des hommes est un bijou du genre (p. 79) :

    « Tous veulent être loués, aussi fausse que soit la louange. Car les enfants revendiquent l’intelligence des adolescents. Les adolescents prétendent posséder la force des jeunes gens. Les jeunes gens désirent qu’on les crédite de la sagesse des vieillards. Les vieillards, parce qu’ils ne peuvent aller plus avant, reviennent en arrière et réclament pour eux la gloire des actions passées. Les femmes, bien que leur sexe les en rende incapables, se targuent pourtant d’un cœur viril. Les paysans brûlent d’avoir l’air de citadins. Les autorités demandent qu’on leur attribue ce qui est attribué aux rois. Les rois rêvent qu’ils ont le pouvoir de Dieu. »

    De même dans le De ira, cette description physique de la colère (p. 127) :

    « C’est un aspect emporté et un air menaçant, un front sombre et un regard farouche, la pâleur ou la rougeur de la face, le sang bouillonne du fond des entrailles et, par le changement de couleur, il rend repoussants les plus beaux visages, les yeux s’enflamment et étincellent, les lèvres tremblent, les dents se serrent, la poitrine est secouée par une respiration accélérée qui s’exhale plus violemment, le gémissement est anxieux, et la parole se précipite en un son à peine distinct, l’explosion rageuse de la voix distend le cou, les mains sont sans repos, et le souffle contracté se resserre et siffle, les doigts craquent en se tordant, le pas s’accélère, et les pieds frappent le sol, les membres frémissent, et le corps tout entier est emporté par un va-et-vient sans répit – tirant d’elle-même les fortes menaces qu’elle lance, l’horrible colère se tord et se gonfle : on ne sait alors si le vice est plus détestable ou plus hideux. À ton avis, quelle est à l’intérieur une âme, quand son image à l’extérieur est si affreuse ? Les autres vices se cachent et se réfugient dans le secret ; la colère se montre, elle se présente en face. »

    Cette partie morale, fondée sur la loi naturelle, représente le premier mouvement d’un plan d’ensemble, à la fois littéraire et pastoral, qui est ici reconstitué, visant à l’évangélisation de la société en profondeur. Après la Règle de la vie vertueuse qui forme comme un pivot, une seconde partie, plus pastorale, entend davantage reposer sur la loi divine. À l’instar de la Consolation de Philosophie de Boèce, l’Exhortation de l’Humilité (avec majuscule) semble faire parler la vertu personnifiée, entreprenant ainsi les puissants : « Si d’aventure il semble que je parle durement, c’est la faute de la vérité, non la mienne » (p. 209). « Humilité » est aussi, on l’a vu, le titre que, par due modestie autant que par convention littéraire, se donne ailleurs Martin. Ce dernier ne s’adresse pas qu’aux grands : l’œuvre qui suit, Réformer les paysans, est peut-être la plus connue, ou la plus citée, sans doute du fait de sa virulence vis-à-vis de ceux dont le nom (pagani, autant que rustici, désigne les paysans) et les comportements frayaient trop encore avec le paganisme. Deux opuscules, enfin, De la triple immersion et De la Pâque, témoignent des difficultés persistantes quant au rite baptismal (Martin prône certes une triple immersion, mais une seule nomination de la Trinité) et au calendrier pascal, auquel le Pannonien apporte une solution inédite.
    Dans les dernières pages, le raffinement est porté à son comble dans trois brefs poèmes : Dans la basilique, louange à la gloire de son grand homonyme, Martin de Tours ; Dans le réfectoire, sorte d’anti-chanson à boire d’un genre demeuré assez peu populaire ; enfin, l’Épitaphe que Martin a composée pour lui-même. Gageons que cet ensemble lui redonnera, auprès des lecteurs modernes, comme une nouvelle vie.

    Guillaume Bady

    Œuvre(s) contenue(s) dans ce volume

    Dans le volume sont réunies les œuvres complètes de l’évêque Martin de Braga (510-520 ? - 579), à l’exception des Sentences des Pères égyptiens, de sa traduction d’un recueil grec, et des Capitula Martini, sa traduction de divers canons émis dans des conciles orientaux antérieurs (IVe s.).

    Martin a su maintenir, dans son œuvre littéraire, un délicat équilibre entre son attachement aux auteurs classiques, premiers piliers de son éducation, et sa vénération pour les textes sacrés et les maîtres chrétiens. Il s’adresse d’abord à tous ceux qui ne croient qu’à la raison naturelle (Pro repellenda iactantia, De superbia). Il dénonce, par la voix autorisée de Sénèque, un vice, ennemi juré de la raison, la colère, qui, reposant toujours sur l’opinion d’une faute commise par autrui, constitue une « courte folie » (De ira). Puis il énonce les quatre vertus cardinales qui feront du roi l’homme par excellence, clairvoyant, fort, tempérant, juste, conformément à sa nature raisonnable (Formula uitae honestae). Une fois fermement établi à l’abri des vices et tentations qu’engendre l’exercice du pouvoir, il est désormais capable d’entendre la voix de l’humilité (Exhortatio humilitatis). Même les « ignorants » (les rustici) sont en mesure de comprendre la salutaire catéchèse du De correctione rusticorum, l’enseignement des dogmes chrétiens fondamentaux – foi en la Trinité unique et triple, en la double nature, divine et humaine, du Christ, en sa résurrection et en la libération de la mort qu’elle apporte à l’humanité, en l’existence du Jugement dernier – et, par la suite, ils pourront demander et recevoir l’instruction portant sur des points particuliers du magistère chrétien, le rituel du baptême (De trina mersione) et le « mystère » de la Pâque (De Pascha). Ce parcours intellectuel puis spirituel rejoint enfin, dans les Carmina, la figure mystique de Martin de Tours.

    Extrait(s)

    16. (…) Et comment certains d’entre vous, qui ont renoncé au diable et à ses anges et à ses cultes et à ses œuvres mauvaises, reviennent-ils tout de suite, à nouveau, aux cultes du diable ? Car, brûler des cierges devant des pierres et devant des arbres et devant des sources et par les carrefours, qu’est-ce d’autre que le culte du diable ? Respecter les divinations et les augures et les jours des idoles, qu’est-ce d’autre que le culte du diable ? Respecter les fêtes de Vulcain et les calendes, orner les tables, et placer des lauriers, et respecter le bon pied, et dans le foyer verser sur une grosse branche du grain et du vin, et jeter du pain dans une source, qu’est-ce d’autre que le culte du diable ? Quand les femmes en leur toile font appel à Minerve, et pour les noces respectent le jour de Vénus, et prennent garde au jour où on peut sortir dans la rue, qu’est-ce d’autre que le culte du diable ? Faire des incantations sur des plantes en vue de maléfices et invoquer les noms des démons par des incantations, qu’est-ce d’autre que le culte du diable ? Et bien d’autres choses qu’il serait trop long de dire ! Oui, tout cela, c’est après avoir renoncé au diable, après le baptême, que vous le faites et, revenant au culte des démons et aux œuvres mauvaises des idoles, vous avez transgressé votre foi et rompu le pacte que vous avez fait avec Dieu. Vous avez abandonné le signe de la croix que vous avez reçu au baptême, et vous êtes attentifs à d’autres signes, ceux du diable, par des oisillons, des éternuements et bien d’autres choses. (…). Donc, quiconque a méprisé le signe de la croix du Christ et se tourne vers d’autres signes, a perdu le signe de la croix qu’il a reçu pour le baptême. De la même façon aussi, celui qui s’attache à d’autres incantations inventées par des sorciers et des empoisonneurs, a perdu l’incantation du saint Symbole et de la prière du Seigneur, ce qu’il a reçu dans la foi du Christ, et il a piétiné la foi du Christ, parce qu’on ne peut rendre un culte en même temps et à Dieu et au diable. » (De correctione rusticorum, § 16, p. 265-269)

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