• SC 585

    Cassiodore

    De l'âme

    décembre 2017

    Texte émendé de l’édition J.W. Halporn ; Introduction, traduction et notes de Alain Galonnier.

    Ouvrage publié avec le concours du Centre National du Livre.
    Révision assurée par Isabelle Brunetière.
    ISBN : 9782204117593
    425 pages
    « Comprendre qui je suis, afin de pouvoir parvenir à ce que je ne suis pas » : vers 540, le fondateur du Vivarium fait se rejoindre foi et philosophie.

    Présentation

    Interrogé par un groupe d’amis sur la nature et les pouvoirs de l’âme, Cassiodore (v. 490 – v. 587), qui fut un temps haut fonctionnaire palatin au service du roi ostrogoth Théodoric le Grand et de ses successeurs, rédigea De l’âme vers 538.

    Récemment converti, il prend parti sur la question de l’âme, un des lieux de controverse entre philosophie païenne et réflexion chrétienne. En dix-huit chapitres se concluant par une prière, il affirme ainsi sa foi neuve tout en réassumant sa culture classique. Il s’attache à faire apparaître l’âme comme l’instrument et le milieu qui permettent à l’homme d’abord de parvenir à sa propre connaissance et à celle du monde, révélateurs l’un et l’autre de la puissance et de la bonté de Dieu, puis de se préparer à atteindre la condition béatifique.

    À partir d’emprunts aussi bien sacrés que profanes, auxquels les citations scripturaires servent de ciment, Cassiodore s’inscrit dans la tradition latine des traités sur l’âme initiée par Tertullien, et compose une œuvre appelée à connaître une immense postérité.

    Alain Galonnier, directeur de recherche au CNRS (Centre Jean Pépin et équipe THETA), a axé ses travaux sur le transfert des savoirs et l’hybridation des cultures au Moyen Âge (Ve-XIIe s.), en particulier à travers la réception du néoplatonisme. Il a publié plusieurs traductions : écrits de saint Anselme de Cantorbéry, Opuscula Sacra de Boèce, Origo gentis Cassiodororum (Anecdoton Holderi), ainsi qu’une édition critique (avec traduction) du De scientiis Alfarabii de Gérard de Crémone.

    Le mot des Sources Chrétiennes

    Un grand absent de la Collection y fait enfin son entrée. Cassiodore (v. 490 – v. 587) représente un maillon doublement important dans la tradition littéraire de l’Antiquité tardive : tout d’abord, par sa qualité d’encyclopédiste, de compilateur et de rassembleur de manuscrits – notamment au monastère du Vivarium qu’il fonde en Calabre –, il joue un rôle clef dans la transmission de la culture antique aux siècles suivants, et en particulier de la littérature patristique grecque dans l’Occident latin ; ensuite, auteur des Institutions, il jette les bases, à la fois bibliques et profanes, de la culture chrétienne postérieure, qu’illustrent déjà son immense commentaire des Psaumes et, dans un genre différent, le traité De l’âme.

    Ce dernier a été écrit par Cassiodore dans les années 538-540, au moment de sa conversion au christianisme qui va de pair avec son retrait de la vie publique, où il jouait un rôle de premier plan en tant que membre de la haute administration – il fut préfet du prétoire – et familier du roi Théodoric.

    À ce tournant spirituel de sa vie, Cassiodore se prononce sur un sujet, celui de l’âme, qui lui permet de comparer philosophie païenne et réflexion chrétienne et, par là-même, d’affirmer sa foi neuve tout en réassumant sa culture classique. Ce faisant, il s’insère dans la tradition des nombreux traités De anima de l’Antiquité, notamment ceux des auteurs chrétiens, de Tertullien à Augustin et à Claudien Mamert – tradition dans laquelle il jouit à son tour d’une grande postérité.

    En dix-huit chapitres conclus par une prière, il répond à son tour aux questions attendues : qu’est-ce que l’âme ? D’où vient son nom (anima, mais aussi animus, mens et spiritus) ? A-t-elle une forme ? Quelle est son origine ? Quelles sont ses vertus morales et naturelles ? Où est son siège ? Que signifie la disposition du corps ? À quoi se reconnaît une âme bonne ou mauvaise ? Que devient l’âme après cette vie ?

    Comme il l’écrit au chap. I évoquant la requête amicale qui est à l’origine de la rédaction du traité, il se confronte ici à un paradoxe : « Celle-là même que nous cherchons est toujours avec nous ; elle est là, agit, s’exprime, et cependant, s’il est permis de le dire, à travers ces manifestations, on ne la connaît pas » ; et il poursuit dans la ligne socratique : « Alors qu’il a été prescrit par les sages de nous connaître nous-mêmes, comment peut-on se conformer à cela si l’on demeure inconnu de soi ? »

    À questionnement philosophique, réponse classique, presque encyclopédique, propre à satisfaire les lettrés – et, en même temps, réponse confessante, et en partie inédite, dont témoignent notamment l’hymne à la création divine qu’est le corps humain (chap. XI), l’affirmation de la foi en la Trinité comme source de la connaissance parfaite (chap. XVI) et, comme une réponse aux questions initiales, l’ultime prière au Christ (chap. XVIII) : « Puissé-je comprendre qui je suis, de sorte que je sois capable de parvenir à ce que je ne suis pas ! »

    Guillaume Bady

    Œuvre(s) contenue(s) dans ce volume

    La réflexion de Cassiodore sur l’âme s’inscrit dans le courant de pensée de l’Occident latin appelé « traducianisme » (par rapport au courant « créatianiste » propre à l’Orient grec, initié par Clément d’Alexandrie au tournant des iie et iiie siècles), représenté par le De anima de Tertullien (début iiie s.), la Lettre 166 à Jérôme, les De immortalitate animae, De quantitate animae et De natura et origine animae d’Augustin, ainsi que le De statu animae de Claudien Mamert. Mais Cassiodore exploite aussi le traité De l’âme d’Aristote. Le traité aurait été rédigé par Cassiodore dans les années 538-540, à la suite des Variae, et serait contemporain de la conversion de son auteur.

                Le traité examine d’abord, dans une approche encyclopédique, le nom et la définition de l’âme (« substance spirituelle qui n’est nullement détruite par effusion de sang »), sa nature (« substance spirituelle et propre, vivificatrice de son corps, rationnelle assurément et immortelle, mais portée au bien comme au mal »), sa qualité subtantielle (celle de la lumière), la question de savoir si elle a une forme (elle ne possède absolument pas de quantité et ne reçoit aucune forme), ses vertus morales (elle ne peut être atteinte par les vices, car elle est protégée par ses quatre vertus morales, qui sont la justice, la prudence, le courage et la tempérance) et naturelles (cinq vertus naturelles : la sensible, l’impérative, la principale, la vitale, le bon plaisir, et quatre fonctions sustentives : attractive, rétentive, translative, expulsive), son origine (l’âme est créée par Dieu), le lieu où elle siège (la tête), la description du corps, avec ses organes et ses facultés sensorielles. Il aborde ensuite des problématiques relevant de la pensée chrétienne, en particulier eschatologique : ainsi, l’âme des pêcheurs et l’âme des justes (comment la reconnaître ?), le futur de l’âme, les châtiments et récompenses, la disposition à l’amour de Dieu, et s’achève sur des louanges au Seigneur et une prière.

              

    Extrait(s)

    IV, 85-115 (SC 585, p. 237-241)

    « Quant à la présence de la raison chez l’homme, qui en douterait ? Lorsqu’il traite des choses divines, connaît les humaines, est instruit dans les arts majeurs, est formé dans les sciences éminentes, le voici qui surpasse comme il se doit les autres animaux, parce que la raison magnifique le pare. Au vrai, j’appelle raisonnement le mouvement démonstratif de l’esprit qui conduit, par ce qui est acquis et connu, à quelque chose d’inconnu, parvenant au secret de la vérité. C’est la raison qui, par des conjectures et des arguments, désire se hâter vers ce qu’elle sait être dans la nature. C’est en effet elle qu’il faut nommer raison vraie, pure et certaine, elle qui est incompatible avec toute représentation erronée. Il lui a donc été donné d’appréhender dans une certaine mesure ses propres réflexions et de les exprimer, en conformité avec la langue, en un enchaînement fluide. […] Aussi, dotée d’une large part de raison, combien de découvertes profitables elle a faites par une faveur de la divinité ! Elle a mis au point les formes des lettres, promu les différents arts et les sciences, entouré les cités de murs de défense, confectionné des vêtements de toute sorte, fait rendre aux terres de meilleurs fruits grâce au savoir-faire, lancé au-dessus des abysses des navires ailés, transpercé de vastes montagnes à l’usage des voyageurs, entouré les ports de digues en croissant au profit des navigateurs, orné le globe terrestre par une remarquable disposition d’édifices. »

    IV (p. 243-245)

    Quant à nous, il nous est aisé, par des lectures véridiques, d’admettre que les âmes sont immortelles ; car lorsque nous lisons qu’elles ont été faites à l’image et à la ressemblance de leur auteur, qui oserait les dire mortelles contre la sainte autorité, ou plutôt soutiendrait impudemment qu’elles s’écartent de cette ressemblance d’avec leur Créateur ? Comment, en effet, pourrait-il y avoir image de Dieu ou ressemblance avec Dieu si les âmes trouvaient leur terme dans la mort des hommes ? En effet, lui qui vit toujours ineffablement, demeurant toujours ineffablement, possédant en lui-même la pérennité, lui qui contient tout, dispose de tout, il a sans nul doute le pouvoir, en tant qu’immortel, de créer des êtres immortels, et d’attribuer un capital de vie selon la mesure propre à chacun.

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