SC 570

Sœur Françoise Callerot † (o.c.s.o.) était moniale à l’Abbaye Notre-Dame des Gardes. Sœur Marie-Sophie Vaujour (o. cist.) est moniale à l’Abbaye Sainte Marie de Rieunette.

En plus de la série des 6 sermons pour le carême présents dans le volume SC 567, Bernard a rédigé, sans doute en 1139, une série de 17 sermons, en forme de livre de carême, qui offre une lecture continue du Ps 90, Qui Habitat. Comme sa Préface l’indique clairement, Bernard veut donner à ses moines la consolation spirituelle d’un psaume dans la tribulation de leur ascèse quadragésimale. De façon originale par rapport à une tradition patristique de commentaires des psaumes bien présente à sa mémoire, mais vis-à-vis de laquelle il se sent très libre, Bernard choisit un psaume du réconfort à l’entrée de la nuit, très présent dans la liturgie à l’office de complies ; mais il veut aussi redresser l’interprétation fallacieuse qu’en a donnée le diable lors de la tentation du Christ au désert (v. 11-12 en Mt 4, 6 // Lc 4, 10-11). La rédaction de l’ensemble, plusieurs fois remaniée pour gagner en cohérence, forme un véritable traité spirituel de l’espérance, structuré par la Parole de Dieu dans laquelle il s’agit d’entrer car elle est force de salut.

Au premier temps de sa progression, le moine, « bête traquée », fuit la tentation et les occasions de chute, en quête d’un abri dans les tribulations de ce monde. Il trouve ce refuge dans le secours du Très-Haut, bouclier de vérité. Il lui faut persévérer dans le choix de la pauvreté volontaire, orienter le temps de sa vie vers la réalisation de la promesse. Lorsqu’il a pu mettre toute son espérance en Dieu, et en Dieu seul, lorsque ses affects ont été réorientés, alors il peut cesser de fuir ; mais, devenu « bête de somme » qui porte le Christ, il continue à courir vers l’étreinte du Père et du Fils : « Votre pied (pes), c’est votre espérance (spes) ! » Bernard met en scène une rencontre : entre la volonté de l’homme, habité par l’ardent désir de l’espérance et dont l’œuvre de mortification se fait pour le Christ, et les promesses qui se donnent à voir dans la foi, œuvre de Dieu qui se fait pour l’homme. Le seul mérite de l’homme est de consentir, et Bernard déploie ici les acquis de son traité sur La Grâce et le Libre Arbitre. À partir du 9^e Sermon, l’âme, convertie à l’espérance pour Dieu, et non plus pour elle-même – l’on retrouve ici des échos du traité sur L’Amour de Dieu –, va se mettre en ordre pour parvenir au but ultime : intérieurement, mais aussi au sein de la Création, sous la garde des anges dont l’aide est fraternelle et efficace. Conscient du poids de ses péchés, mais ferme dans l’espérance des biens à venir, l’homme puise dans cette tension même l’élan d’une action de grâce, qui constitue le dynamisme propre de son ascension : le voilà qui devient de plus en plus heureux – felix, felicior, felicissimus ! L’ascension devient course et cri de prière : l’enchaînement de la vie présente avec ses nécessaires tribulations, de la mort puis de la résurrection, culmine dans la rencontre avec le salut de Dieu : Jésus. Le Prologue de la Règle de saint Benoît fournit à l’ensemble de la série une très belle inclusion : si l’homme n’est au départ qu’un inhabitator, un « locataire », il devient à l’aube du face à face un habitator, un « habitant » de la sainte montagne.

(L. Mellerin, 2017)

Laurence Mellerin