• SC 476

    Grégoire le Grand

    Morales sur Job, Livres XXVIII-XXIX
    Sixième partie

    octobre 2003

    Texte latin de Marc Adriaen (CCL 143B). — Introduction par Carole Straw. — Traduction par les Moniales de Wisques. — Notes par Adalbert de Vogüé.

    Révision assurée par Blandine Sauvlet.
    ISBN : 9782204073523
    329 pages
    Le manuel de théologie morale et spirituelle pour tout le Moyen Âge latin, par celui qui allait devenir pape à la fin du 6e siècle.

    Présentation

    Après les poèmes de Job et de ses amis, après les quatre discours d'Elihou, le grand commentaire grégorien aborde ici les défis que le Seigneur lui-même adresse au juste malheureux (Jb 38, 1-33). Cette réponse de Dieu aux plaintes de Job, Grégoire l'entend, selon son habitude, en des sens divers : les phénomènes naturels évoqués par le créateur représentent tantôt des faits d'Église et des épisodes de l'Histoire sainte, tantôt des vicissitudes de l'âme chrétienne qui cherche Dieu. Dans l'une et l'autre de ces perspectives, la mémoire biblique du commentateur lui fournit une extraordinaire abondance de rapprochements avec des faits et des paroles de l'Écriture. La terre et la mer, la tempête et l'automne : toutes ces choses dont le Seigneur parle à Job deviennent autant de paraboles de l'histoire des âmes individuelles et du peuple de Dieu, centrée sur le Christ, telle que la décrivent les deux Testaments.

     

     

    Carole Straw, professeur à Mount Holyoke College (USA, Massachussets), spécialiste de Grégoire le Grand, a rédigé l'introduction de ce volume. La traduction du texte a été assurée par les moniales de Notre-Dame de Wisques. L'annotation et la révision de l'ensemble sont dues au P. Adalbert de Vogüé, moine de la Pierre-qui-Vire, éditeur de nombreux ouvrages de Sources Chrétiennes.

    Le mot des Sources Chrétiennes

    Voilà un peu plus d'un demi-siècle paraissait dans Sources Chrétiennes la première partie (Livres I-II) des Morales sur Job de Grégoire le Grand (SC 32 bis). Vingt ans plus tard environ, la troisième partie de ce long commentaire (Livres XI-XVI) était proposée aux lecteurs (SC 212 et 221). Avec les livres XXVIII-XXIX présentés aujourd'hui commence la sixième et dernière partie de l'ouvrage, qui comporte encore six autres livres. Comme le notait dom Robert Gillet, dans son introduction au premier volume, en rappelant l'occasion et le caractère des Morales, ces conférences monastiques « ne veulent pas résoudre un problème spéculatif de quelque ampleur, comme, par exemple la Cité de Dieu [d'Augustin], mais seulement aider à mieux vivre des chrétiens qui, par leur vocation, se trouvent avoir un accès plus facile à la vie mystique ». Il n'est donc pas impératif de lire l'ouvrage dans son déroulement linéaire pour en goûter la saveur et pour tirer profit d'une exégèse qui n'a rien de systématique. Cela justifie aussi que chacun des trois ensembles publiées dans la Collection soit précédé d'une introduction particulière. Celle qu'a rédigée pour ce volume Carole Straw, spécialiste américaine de Grégoire le Grand, propose une étude de son exégèse biblique : à travers les épreuves de Job et la souffrance du juste, Grégoire aborde les questions existentielles et les problèmes métaphysiques de l'homme de tous les temps, même si, pour lui, Job est d'abord la figure du Christ souffrant et le véritable héros du poème, comme l'écrit le P. Adalbert de Vogüé.

    Trois sections du commentaire – le début, le milieu et la fin –, trois regards différents et pourtant convergents portés sur l'œuvre en trois introductions, ce peut être une bonne manière d'aborder la lecture des Morales. Elle n'aurait peut-être pas déplu à Grégoire lui-même, qui compare son interprétation à un fleuve capricieux : « Tel doit être », écrit-il dans sa lettre-dédicace à Léandre (SC 32 bis), « le commentateur de la parole divine : quel que soit le sujet qu'il traite, s'il vient à rencontrer sur sa route une bonne occasion d'édifier, qu'il détourne en quelque sorte vers cette vallée voisine les flot de sa parole, et ne rentre dans le cours de son exposé qu'après s'être répandu suffisamment dans cette plaine adjacente ». Aussi le commentateur ne se sent-il pas tenu de dégager pour chaque verset les trois sens – littéral, allégorique et moral – qu'on reconnaît traditionnellement de son temps à l'Écriture. Son exégèse, largement allégorique parce que soucieuse d'édifier les moines auxquels il s'adresse, se développe librement, ce qui en fait le charme, et s'enrichit de multiples interprétations.

    La traduction du texte a été assurée par des moniales de Notre-Dame de Wisques ; les notes sont dues au P. Adalbert de Vogüé, moine de l'abbaye de La Pierre-Qui-Vire et historien du monachisme. La suite de cette publication se poursuivra prochainement, grâce aux mêmes acteurs, avec les livres XXX-XXXII et XXXIII-XXXV qui achèvent les Morales sur Job.

    Jean-Noël Guinot

    Œuvre(s) contenue(s) dans ce volume

    Le volume SC 476 comprend une introduction substantielle portant sur l’exégèse grégorienne du Livre de Job, centrée sur Job figure du Christ souffrant. Les principes exégétiques énoncés par Grégoire dans sa Lettre-Dédicace à Léandre de Séville ne sont pas appliqués par lui de façon systématique, mais le commentaire suit le texte biblique au gré des interprétations multiples qu’il inspire à l’exégète, pouvant s’accompagner de digressions et retours en arrière s’il le faut. Car Grégoire souhaite avant tout édifier les âmes pour en faire des « citadelles de la foi », et les Moralia se présentent pour cette raison comme « une collection d’enseignements » (C. Straw).

    À ce titre, Grégoire s’attache moins à l’innocence de Job qu’à la puissance de Dieu, qui seule détermine la justice. Du fait de la toute-puissance de Dieu, la souffrance de l’homme ne peut qu’être voulue par Dieu ; or, la volonté divine ne saurait être injuste ; est donc juste ce qui est voulu par Dieu. Grégoire tend à effacer les caractéristiques du Job hébraïque au profit d’un nouveau modèle d’homme souffrant, illustration de la patientia. Ainsi Grégoire fait-il de Job, en tant qu’imitateur du Christ, l’incarnation des valeurs chrétiennes.

    Livre XXVIII : commentaire de Jb 38, 1 à 38, 11.

    Malgré sa constance dans les épreuves, Job n’obtient pas de louange de son Juge ; au contraire, Dieu lui adresse des reproches « avec une juste sévérité ». Grégoire considère, en effet, que, de cette manière, Dieu permet à Job d’éviter de s’enorgueillir de ses vertus.

    S’ensuit une longue digression sur les différents moyens par lesquels la parole divine se communique à l’homme (par une inspiration intérieure ou par l’intermédiaire des anges, ces derniers utilisant eux-mêmes divers procédés : visions, signes, etc.). Dieu interroge l’homme de trois façons : en le frappant par la souffrance, en lui donnant des ordres qui contrarient sa volonté, en lui révélant ou en lui cachant ses secrets « pour que les hommes qui s’ignorent eux-mêmes apprennent à se connaître ».

    Dieu accorde des dons différents à chacun pour le bien de tous : « Il règle toutes choses pour que, chaque don appartenant à tous, en vertu des liens de la charité, tous les dons appartiennent à chacun ; pour que chacun possède en l’autre ce qu’il n’a pas reçu lui-même et partage humblement avec l’autre ce qu’il a lui-même reçu ». Exemples de Pierre, qui est à la fois un modèle d’autorité et d’humilité ; et de Paul, un modèle de discernement.

    Livre XXVIII : commentaire de Jb 38, 12 à 38, 33.

    La réflexion de Grégoire porte sur l’Église, qui se hâte vers un ailleurs, mais est encore entre ici-bas et au-delà. En contre-point, le corps impie est lui aussi uni à sa tête, le diable, appelé aussi l’Antichrist ; bien qu’il ne soit pas encore venu, l’Antichrist opère déjà dans le monde à travers les œuvres des impies. À la fin des temps cependant, Dieu pourra exercer sa miséricorde en inspirant aux impies une crainte destinée à les convertir. Ils échapperont aux supplices éternels, mais pas à la mort de la chair, en punition du péché d’orgueil, par lequel le premier homme a perdu sa ressemblance avec Dieu. C’est le sens de l’Incarnation. Le verset 38, 16 (Es-tu entré dans les profondeurs de la mer ? As-tu marché au fond de l’abîme ?) est interprété comme la descente du Christ aux enfers, qui par sa mort et sa résurrection a vaincu les forces de la mort ; de même, il a permis que la foi se répande parmi les nations et que l’Église s’étende sur l’étendue de la terre. Le sens du verset peut aussi s’appliquer à chacun, quand l’âme, touchée de componction, prend conscience de ses fautes et fait pénitence. Mais on ne peut savoir « qui recevra dans le royaume une demeure éternelle… et qui sera condamné aux supplices éternels… », car cela demeure caché à l’intelligence de l’homme.

    Extrait(s)

    Livre XXIX, 62 (p. 291)

    « Souvent, en effet, lorsque des débutants montrent trop tôt leurs bonnes œuvres, ils empêchent le grain de la perfection de parvenir à maturité ; souvent leurs vertus s’évaporent, parce qu’elles sont plus abondantes qu’il ne faudrait. C’est pourquoi le Seigneur repousse les désirs de ses élus s’ils sont prématurés, et même s’ils viennent en leur temps, il empêche leurs progrès de dépasser une juste mesure ; car l’importance même de leurs progrès ferait courir aux élus le risque de tomber dans le péché d’orgueil.

    En effet, quand, après avoir vécu dans le péché, le cœur est touché de componction, il est comme une terre desséchée touchée par la pluie ; quand, ayant abandonné ses iniquités, il se propose d’accomplir le bien, il est comme une terre qui reçoit de la semence après avoir été arrosée. Beaucoup, quand ils ont conçu de saints désirs, brûlent de pratiquer les vertus les plus élevées, pour que le péché ne trouble pas plus leurs pensées qu’il ne souille leurs actions. Ils sont encore dans un corps, mais déjà ils ne veulent plus avoir rien de commun avec la vie présente : par une application incessante, ils souhaitent imiter en leur âme la stabilité de l’éternité, mais les tentations qui surviennent les font reculer, afin qu’ils se souviennent de leurs faiblesses et ne s’élèvent pas pour des vertus qu’ils ont reçues de Dieu. »

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