• SC 424

    Tertullien

    Le Voile des vierges

    septembre 1997

    Introduction et commentaire par Eva Schulz-Flügel adaptés par Paul Mattei. — Texte critique par Eva Schulz-Flügel. — Traduction par Paul Mattei.

    ISBN : 9782204057615
    288 pages
    Voilées, les femmes chrétiennes, pendant la liturgie ? Le Carthaginois devenu schismatique expose son avis.

    Présentation

    Dès l’Antiquité, le De uirginibus uelandis a prêté à contresens. En réalité, il s’agissait pour Tertullien d’obtenir que toutes les vierges, à l’instar des femmes mariées, gardent humblement le voile au cours des liturgies. Par « vierges », il entendait, en plus des filles nubiles, celles, de tout âge, qui avaient par vœu privé (il n’existait pas alors de vœu public) fait profession de virginité.
    L’objet paraît mince. Or déjà, quelques années plus tôt, dans le De oratione, l’Africain avait formulé la même exigence. Il y était ensuite revenu dans un traité spécial en grec (perdu). Pourquoi récidiver encore ? C’est que, passé au montanisme, il voyait là une occasion de défendre l’orthodoxie du cercle intransigeant auquel il s’était agrégé ; d’ailleurs, parmi les vierges, à Carthage, le conflit s’aigrissait entre les adeptes du voile et les tenantes de la « liberté », celles-ci alléguant l’usage local.
    L’opuscule, du coup, révèle une portée plus vaste. L’auteur s’interroge sur la coutume comme source législative et l’oppose au Christ, « qui est la vérité », norme donnée dès le commencement mais dont l’histoire du salut, par paliers, des patriarches aux prophètes montanistes, affermit l’évidence. Il précise ses idées sur la place des femmes ascètes dans l’Église, témoignant ainsi du développement institutionnel que connaissait alors la virginité consacrée, mais attestant aussi, implicitement, combien ses propres choix éthiques et ecclésiologiques juraient avec ce développement.
    Autant que des quiproquos sur l’objet du traité, on se méfiera donc des anachronismes et des jugements hâtifs quant à son esprit. L’actualité a rendu nos contemporains sensibles à toutes évocation du voile religieux – à toute velléité de régenter le costume féminin. Au vrai, Tertullien fut un rigoriste qui ne réservait pas l’austérité aux seules « filles d’Ève » ; il fut plus encore, peut-être, un « charismatique » archaïsant à qui répugnait que le propos de sainteté se trouvât en quelque façon confisqué par un groupe trop clairement identifié dans le corps ecclésial.

    Eva Schulz-Flügel est actuellement chercheur au Vetus Latina Institut (Beuron). Paul Mattei est Professeur à l’Université Stendhal-Grenoble III ; il a déjà publié à Sources Chrétiennes Le mariage unique (De monogamia) de Tertullien (SC 343).

    Le mot du directeur de Collection

    L'édition de ce traité est le résultat d'une collaboration franco-allemande. Le texte critique, l'introduction générale et le commentaire sont l'œuvre d'Eva Schulz-Flügel, chercheur au Vetus latina Institut de Beuron, avec la collaboration de Paul Mattei, qui a fourni également la traduction française du texte latin ; on lui doit déjà de Tertullien l'édition du traité Le Mariage unique (SC 343).

    Le sujet abordé ici, à partir d'un problème somme toute assez mince – une question vestimentaire –, est celui de savoir si la coutume a ou non valeur normative, si elle doit prévaloir sur la « vérité » qui est l'autre nom du Christ. Tel est en définitive ce qui donne de l'épaisseur à cet opuscule et en fait l'intérêt. Il y eut donc, dans la communauté chrétienne de Carthage, au début du IIIe siècle – le traité paraît postérieur à 213 –, une « affaire du voile » religieux, avec ce qu'un tel sujet comporte de réactions passionnées et de parti pris. Mais gardons-nous de tout anachronisme ! Il s'agissait de savoir si, à l'Église, au cours des liturgies, les « vierges » devaient continuer à paraître tête nue et signaler ainsi à l'assistance leur état, autrement dit si cet état les autorisait à prétendre à des honneurs et à un rang particuliers ou si elles devaient au contraire, comme les femmes mariées, se couvrir humblement la tête. Tertullien milite pour sa part en faveur du port du voile. Ce point de vue lui est sans doute moins dicté par son rigorisme que par son adhésion au montanisme : contre les femmes ascètes, qui veulent imposer à toutes les vierges un comportement qui les distingue des autres femmes et les signalent comme les « servantes exclusives du Christ », Tertullien rappelle que « l'Église est une réalité spirituelle au sein de laquelle rangs et fonctions ne donnent droit à aucun privilège », où la virginité est une grâce et non un mérite ; il prône le retour « aux forces charismatiques et enthousiastes des chrétientés originelles, contre l'évolution qui tendait à établir une Église où l'institution primerait ». Plus tard, en effet, le voile deviendra le signe distinctif des vierges consacrées. À l'époque de Tertullien, cette évolution ne fait que s'amorcer, et la réflexion de l'auteur sur le sujet est de ce fait un témoignage de premier ordre. Signalons encore dans la riche Introduction de ce volume un chapitre consacré à « l'ascèse féminine des origines à Augustin » et un autre à « la coutume du port du voile », dont Tertullien atteste qu'elle est en Arabie bien antérieure à l'Islam...

    (J.-N. Guinot, 1997)

    Jean-Noël Guinot

    Extrait(s)

    (p. 181-183)

    XVII. 1. (1.) Mais je vous exhorte aussi, vous qui avez choisi la seconde chasteté, qui êtes engagées dans le mariage, ne vous relâchez point, fût-ce un instant, de la règle du voile, ne ruinez pas d’autre façon une discipline qu’il vous est impossible de rejeter, en allant ni couvertes ni découvertes. 2. Car certaines, avec leurs petits bonnets et leurs bandeaux, ne se voilent pas la tête ; elles la ficellent, pour le front bien couvertes, mais pour la tête à proprement parler toutes nues. D’autres sans excès – pour ne pas se charger la tête, je crois – avec leurs petits fichus, et qui n’arrivent pas même aux oreilles, se couvrent le crâne. (2.) Je les plains d’avoir l’ouïe si faible qu’elles ne puissent entendre à travers un tissu. 3. Qu’elles sachent que tout est féminin dans une tête de femme ; que la tête, c’est ce qui s’étend jusqu’aux bords, aux confins du vêtement ; tout ce que les cheveux dénoués peuvent recouvrir, voilà le domaine du voile, de façon qu’il enveloppe aussi la nuque. C’est la nuque en effet qui doit être soumise, elle à cause de qui la femme doit avoir sur la tête un signe de sujétion. Le voile est son joug. 4. Les païennes d’Arabie nous jugeront, qui en plus de la tête se couvrent le visage entier, contentes ainsi de jouir, par le seul œil laissé libre, d’une moitié de lumière, plutôt que de livrer à tous leurs visages entiers : (3.) la femme aime mieux voir qu’être vue. 5. Et c’est pourquoi telle reine romaine les déclare bien malheureuses, au motif qu’elles peuvent mieux éprouver de l’amour qu’en inspirer. Heureuses plutôt, en ceci au moins qu’elles échappent à l’autre bonheur, assurément plus courant, les femmes ayant plus de facilité à inspirer de l’amour qu’à en éprouver. 6. À coup sûr, la réserve que montre la discipline païenne est plus fruste et, pour ainsi dire, plus barbare. Nous, le Seigneur, par des révélations, nous a mesuré jusqu’à la taille du voile.

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