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SC 407
Jonas d'Orléans
Le Métier de roi
De institutione regiaavril 1995Introduction, texte critique, traduction, notes et index par Alain Dubreucq.
Ouvrage publié avec le concours du Centre National des Lettres et de la Ville d'Orléans.ISBN : 9782204052252304 pagesLa royauté, une mission religieuse : au 9e siècle, les conseils d'un évêque au roi Pépin Ier.
Présentation
À l’époque carolingienne, l’évêque Jonas d’Orléans entreprend d’écrire au roi d’Aquitaine Pépin Ier un petit traité sur le métier de roi dont la portée va bien au-delà d’un manuel d’éducation des princes. Jonas se fait ici le représentant de l’épiscopat pour rappeler à un roi, au bord de la sédition, ses devoirs envers son père et le peuple chrétien.
À la suite de l’Admonition au roi Pépin qui ouvre le traité, l’Opuscule de la charge royale commence par distinguer cette charge de celle des évêques. La collaboration harmonieuse du roi et des évêques permet de mettre en œuvre, dans la société, les exigences concrètes du message chrétien.
Mais Jonas envisage plus que la fonction politique. Après avoir traité du gouvernement royal, il donne une charte des devoirs du roi à l’égard des autres hommes. Cela fait de ce manuel un vade-mecum de la vie des chrétiens, le roi n’étant que le premier d’entre eux.Alain Dubreucq, maître de conférences à l’Université de Bourgogne, s’est spécialisé dans l’ecclésiologie du haut Moyen Age. C’est dans ce cadre qu’il a consacré sa thèse de doctorat à l’œuvre de Jonas d’Orléans. Il travaille sur d’autres traités adressés par des clercs aux souverains carolingiens, tels que La Voie Royale de Smaragde de Saint-Mihiel.
Le mot des Sources Chrétiennes
Le Métier de roi, traité adressé par l'évêque Jonas d'Orléans au roi Pépin Ier d'Aquitaine sur la manière de remplir la charge royale, reflète également un aspect important de l'activité épiscopale. Selon Jonas, le roi et l'évêque partagent tous deux, mais chacun dans son domaine propre, la responsabilité de mettre en œuvre dans le peuple dont ils ont la charge les exigences concrètes du message chrétien. Si la responsabilité du prêtre est plus grande encore que celle du roi devant Dieu, c'est pourtant aux devoirs du roi à l'égard des hommes que Jonas consacre la plus grande partie de son traité. Jonas, qui a séjourné à la cour de Charlemagne et vécu dans l'entourage des princes, connaît donc bien le sujet dont il traite.
Cette édition préparée par Alain Dubreucq intéressera au premier chef les historiens de la période carolingienne autant que ceux de l'Église, et contribuera à faire connaître des lecteurs de la Collection un évêque d'Orléans dont l'activité au sein de l'Église fut importante sous le règne de Louis le Pieux, comme fut grande aussi son autorité d'écrivain.Jean-Noël Guinot
Œuvre(s) contenue(s) dans ce volume
Jonas d’Orléans est né vers 760 en Aquitaine, où il est formé aux lettres et reçoit la tonsure ; loué pour son talent poétique, il séjourne au palais de Charlemagne vers 780, puis à la cour de Louis le Pieux, alors roi d’Aquitaine. Un temps précepteur de son fils Pépin, il devient évêque d’Orléans, dès 818. Il restaure le monastère Saint-Mesmin de Micy, en 825, y fait transférer les reliques de saint Maximin et obtient un privilège impérial garantissant les biens de l’abbaye et la libre élection de l’abbé. Il prend une part active dans les affaires monastiques et ecclésiastiques en tant que missus de l’empereur Louis le Pieux, et participe à tous les synodes (en 825, sur la querelle des images ; à Paris en 829 ; Worms en 833 ; Thionville en 835 ; Aix-la-Chapelle en 836). Il meurt entre 840 et 843, à un âge très avancé.
Jonas a laissé une œuvre considérable et très diverse : — La Vita secunda sancti Hucberti, qui est un miroir du bon évêque carolingien. — L’Institution des laïcs : le livre I traite des fondements de la morale chrétienne (importance des sacrements, de la prière et des bonnes œuvres) ; le livre II est consacrée aux laïcs, avec la question du mariage et du bon ou mauvais usage des biens ; le livre III est un tableau des vices et des vertus. — Le De cultu imaginum : réfutation des idées de Claude de Turin, à qui on reprochait de contester les images saintes, le culte des reliques, l’adoration de la croix et les pèlerinages à Rome. — Le De rebus ecclesiasticis non inuadendis adressé au roi d’Aquitaine, Pépin Ier, afin de lui réclamer la restitution des biens soustraits aux Église pendant les troubles de 830-833.
L’Institution royale (= Le métier de roi) est à mettre en relation avec l’Institution des laïcs et les actes du concile de paris en 829. Ce texte est composé dans un contexte politique troublé par les intrigues des fils de l’empereur, peut-être en 831. C’est une exhortation visant à rétablir la concorde entre le roi d’Aquitaine et son père ; il donne au roi quatre conseils, qui doivent lui valoir le salut éternel : la pratique des bonnes œuvres, la confession des péchés, la vigilance et la méditation, dans la perspective du Jugement dernier. En effet, l’évêque s’estime responsable du salut du roi devant Dieu. En même temps, il définit le rapport entre le pouvoir royal et le pouvoir sacerdotal, mettant l’accent sur le rôle des évêques plus que sur celui du pape. Le roi doit s’appuyer sur la justice, l’humilité et la miséricorde, défendre l’Église qui lui a été confiée par Dieu, ainsi que les pauvres. En contre-partie, les sujets lui doivent obéissance. La morale chrétienne repose sur la caritas (au sens d’amour mutuel) et la bona uoluntas, avec l’observation des commandements divins et la pratique des bonnes œuvres. Jonas recommande la prière, la messe le dimanche et la communion fréquente. En effet, la sainteté du roi doit constituer un exemple pour ses sujets. Dans ce « miroir des princes » (à la suite de la Voie royale de Smaragde de Saint-Mihiel), Jonas, mêlant adroitement morale et politique, dresse le portrait idéal de l’empereur chrétien. Ces thématiques sont à rapprocher de l’idéal chevaleresque et de l’idée de croisade.
La représentation que les évêques carolingiens avaient du monde repose d’abord sur l’ecclésiologie augustinienne des deux cités. L’Église, universelle, est sur terre la préfiguration de la cité céleste ; les croyants, membres du corps dont le Christ est la tête, s’en séparent par le péché, mais peuvent être réconciliés par la pénitence (publique pour les rois). Pour Jonas qui identifie l’universalisme chrétien à l’empire franc, garantir la stabilité de l’empire revient donc à assurer l’unité de la chrétienté ; d’où sa préoccupation constante de la concorde entre les fils de l’empereur. L’État fait désormais partie de l’Ecclesia (ou de la christianitas) et la société est organisée en ordres, moines, prêtres et évêques, laïcs ; la charge de gouverner revient aux évêques et au roi selon un modèle théocratique, les évêques intervenant directement dans les affaires du siècle.
Le texte fait une large place à la compilation et s’apparente à un florilège ; par son style, il a contribué à l’essor de la « Renaissance carolingienne ».
La tradition manuscrite se limite à trois manuscrits : R Vatican, Archivo S. Pietro, lat. D 168 ; A Paris, B.N., Nouv. acq. lat. 1632 ; B Vatican, Barberini 3033. R est un manuscrit tardif, mais complet – résultant de la copie par le scribe Hamer d’un manuscrit du ixe siècle, qu’on appellera a (c’est le manuscrit de Reichenau) – et d’une copie partielle réalisée à Orléans dans l’entourage de Jonas (A), et représentant une deuxième rédaction du texte. Quant à B, il doit être considéré comme un simple dérivé de R, mais il présente des corrections réalisées à l’aide d’un autre manuscrit.
Le texte est redécouvert par Luc d’Achery, qui l’introduit dans le tome V de son Spicilège en 1661. Il a dû trouver une audience chez les théoriciens de l’absolutisme, comme Bossuet. Il est réédité en 1723, après avoir été amendé grâce à la copie que Baluze avait faite du manuscrit d’Orléans, et sera repris dans la Patrologie de Migne.
Extrait(s)
Extrait 1, p. 159
On conclut nettement de ces paroles qu’il ne faut à aucun ami de Dieu embrasser l’amitié de ce monde et que celui qui le fait a toujours été l’ennemi des amis de Dieu. C’est une chose très triste et bien déplorable lorsque quelqu’un a des liens d’amitié avec son ennemi et qu’il perd un ami éternel et immortel, à savoir son créateur, pour une amitié nuisible et fatale. C’est pourquoi tous ceux qui sont comptés au nombre des chrétiens par leur profession de foi chrétienne doivent s’efforcer de veiller et de travailler à ne pas différer de jour en jour leur conversion à Dieu, et à ne pas se leurrer non plus d’un vain espoir en se promettant une longue vie du fait de leur jeunesse ou de la santé de leur corps, sachant que la mort n’épargne aucun âge et que pour tous le jour de leur fin est incertain. Ainsi après avoir rejeté l’antique ennemi, et le monde qui gît sous l’empire du Malin (cf. 1 Jn 5, 19), après avoir rejeté ses richesses et les avoir foulées aux pieds, qu’ils fassent chaque jour le passage salutaire des vices aux vertus, du visible à l’invisible, de l’éphémère à l’éternel, de sorte qu’au terme du parcours de cette vie transitoire ils parviennent à Celui par qui, alors qu’ils n’existaient pas, ils ont été créés, par qui, alors qu’ils étaient morts, ils ont été recréés et marqués pour leur salut du sceau de sa foi, et qu’ils apprennent de lui ce que l’œil n’a pas vu, ce que l’oreille n’a pas entendu et ce qui n’est pas monté au cœur de l’homme, tout ce que Dieu a préparé pour ceux qui l’aiment (1 Co 2, 9).
Extrait 2, p. 199-201
Le ministère royal est tout spécialement de gouverner et de diriger le peuple de Dieu avec équité et justice, et de s’appliquer à lui procurer la paix et la concorde. En effet, le roi doit en premier lieu être le défenseur des églises et des serviteurs de Dieu, des veuves, des orphelins et de tous les autres pauvres, et aussi de tous les indigents.
En effet, la terreur qu’il inspire et son zèle doivent s’exercer, dans la mesure du possible, de la manière suivante : en sorte d’abord qu’aucune injustice ne se commette ; ensuite, si néanmoins cela arrive, il ne doit en aucune façon la laisser subsister ni laisser à quiconque l’espoir de se cacher ou l’audace de mal agir C’est pourquoi il a été placé sur le trône du gouvernement pour administrer des jugements équitables, pour y pourvoir par lui-même et s’informer avec soin, afin que nul ne s’écarte de la vérité et de la justice au cours du jugement. Il doit savoir aussi que la cause à laquelle il prête son concours conformément au ministère qui lui a été confié n’émane pas des hommes, mais de Dieu, à qui il aura des comptes à rendre au jour redoutable du jugement pour le ministère qu’il a reçu. Et c’est pourquoi il convient que lui, qui est le juge des juges, introduise à son audience la cause des pauvres et s’informe avec diligence, afin qu’il n’advienne pas que ceux qu’il a établis et qui doivent s’occuper du peuple à sa place permettent, par injustice ou négligence, que les pauvres soient victimes d’oppressions.Errata
Page Localisation Texte concerné Correction Remarques 122 n. 4 L’Admonition, p. 214-233. L’Admonition, Revue bénédictine, 1933, p. 214-233. 137 l. 5 en partant de la fin ç ȩ
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