• SC 388

    Hermias

    Satire des philosophes païens

    mai 1993

    Introduction, texte critique, notes, appendices et index par (†) R. P.C. Hanson et se collègues. — Traduction française par Denise Joussot.

    Ouvrage publié avec le concours du Centre National des Lettres.
    ISBN : 9782204048576
    149 pages
    Indisponible chez notre éditeur
    Les philosophes tournés en ridicule par un chrétien plein d'ironie.

    Présentation

    Peu à peu, au cours du IIe siècle, et nonobstant les persécutions, le christianisme découvre en lui-même la capacité non seulement de répondre à l'attente religieuse des hommes, mais encore de proposer une nouvelle philosophie à toute l'humanité, la philosophie du Christ. C'est l'âge des Apologistes, Justin, Athénagore, l'auteur de la Lettre à Diognète, Théophile d'Antioche.

    Hermias, dont on ne sait rien, vers la même époque (fin du IIe siècle), témoigne autrement de la prise de conscience qui s'opère chez les chrétiens. Négligeant toute proposition synthétique, il passe à l'attaque. L'inanité des enseignements des « philosophes qui ne sont pas des nôtres » est sa cible, tout particulièrement la cacophonie de leurs doctrines. Avec quelques autres, dont Tatien, il ose faire ce pas.

    Satiriste et philosophe chrétien, Hermias n'a pas étudié à fond tous les auteurs qu'il brocarde, d'Anaxagore à Aristote. Il n'en est pas moins bien informé sur eux par ces documents que l'on appelle la « tradition doxographique ». Son propos peut paraître léger. Il ne s'en présente pas moins comme une amplification du mot de saint Paul : « La sagesse de ce monde est folie aux yeux de Dieu ».

    L’édition du petit opuscule d’Hermias est l’œuvre d’une équipe de chercheurs anglais dirigée par Mgr Richard P.C. Hanson (†), ancien évêque méthodiste de Clogher, en Irlande, et professeur à l’Université de Manchester. La traduction du texte est due à Mlle Denise Joussot, agrégée de l’Université ; la traduction de l’anglais a été assurée par le Père André Prêle, s.j.

    Le mot des Sources Chrétiennes

    Vers la fin du IIe siècle ou le début du IIIe, un dénommé Hermias, dont nous ne savons rien, entreprend de dénoncer la vanité de la philosophie profane, dans un opuscule intitulé Satire des philosophes païens (SC 388). Le titre reflète bien la tonalité de cet écrit où l'ironie domine. L'auteur, feignant de se mettre à l'école des grands philosophes de l'Antiquité pour connaître la nature de l'âme ou les principes qui régissent l'univers, est balloté d'un système à l'autre et ne sait plus où il en est ni même qui il est :

    « Tantôt je suis immortel et je m'en réjouis, tantôt je suis mortel et je pleure. Je viens d'être réduit en atomes, je deviens de l'eau, je deviens de l'air, je deviens du feu. Peu après je ne suis ni air, ni feu, ils me font bête sauvage, ils me font poisson ; et ainsi j'ai les dauphins pour frères ! Toutes les fois que je me regarde, je suis effrayé par mon corps et ne sais comment l'appeler. »

    Plutôt que de procéder à un exposé critique de chaque doctrine, il s'amuse à mettre ainsi les philosophes en contradiction, à organiser une plaisante cacophonie. Proche à bien des égards des Apologistes du IIe siècle, il abandonne pourtant la position défensive pour passer à l'attaque, sur un ton qui rappelle celui de Lucien de Samosate chez les auteurs païens et celui de Tatien chez les chrétiens. Tout cet opuscule illustre en définitive la citation de Paul, mise en tête de la satire : « La sagesse de ce monde est folie aux yeux de Dieu » (I Cor. 3, 19).

    L'édition de ce texte et sa présentation ont été préparées par une équipe de professeurs de l'Université de Manchester, sous la direction de R.P.C. Hanson ; la traduction du texte grec est due à une enseignante française, D. Joussot.

    Jean-Noël Guinot

    Œuvre(s) contenue(s) dans ce volume

    Cette édition est l’œuvre d’un séminaire qui s’est tenu de 1980 à 1984, sous la direction du professeur Hanson. Elle établit un nouveau texte issu de la collation d’un nombre inégalé de manuscrits, utilisant pour la première fois le manuscrit de Patmos (le plus ancien). L’étude approfondie du texte permet de le dater d’environ 200.

    La tradition recense 16 manuscrits, pratiquement tous d’époque très tardive : la collation s’est enrichie au fil du temps, depuis l’édition princeps de Seiler en 1553 jusqu’aux derniers manuscrits cités pour la première fois par Ehrhard en 1900. Le manuscrit de Patmos semble être le plus ancien et date du XIe ou du XIIe siècle (Patmiacus 202, bibliothèque du monastère saint Jean, Patmos, parchemin). Sept manuscrits constituent la « tradition principale », huit autres forment une tradition manuscrite distincte.

    On recense 12 éditions antérieures au présent volume, datées de 1553 (Bâle, éd. R. Seiler, qui est l’édition princeps) à 1931 (Livourne, éd. G.A. Rizzo).

    L’auteur nous est inconnu, c’est le texte lui-même qui permet une datation, par les thèmes abordés et des références explicites, comme le terme « philosophe », qui range Hermias au nombre des apologistes du IIe siècle. Les allusions bibliques sont rares, Hermias s’appuyant essentiellement sur la tradition doxographique (Némésius, Stobée, Théodoret, Pseudo-Plutarque, Aétius…).

     

    Voici une œuvre pratiquement unique en son genre, un texte court mais précieux de la littérature chrétienne, qui s’adresse à des intellectuels chrétiens. C’est une critique assez facile des contradictions des philosophes païens sur les grands problèmes religieux. Loin de la polémique, l’auteur fait preuve d’une ironie spirituelle et enjouée comparable à celle du païen Lucien de Samosate pour dénoncer l’inanité de leurs enseignements. Il utilise souvent des citations entières soit des philosophes eux-mêmes, soit de la tradition doxographique antérieure et maîtrise les exercices rhétoriques d’école. Son but est de prouver que la vérité ne se trouve pas dans la philosophie païenne, mais dans le christianisme.

    La seule doctrine de cet ouvrage est l’attitude d’Hermias envers la philosophie. L’innocence initiale des hommes, dont le culte envers Dieu était pur, s’est perdue lorsque les anges déchus se sont unis aux hommes. Surgit alors l’abondance des écoles philosophiques, en contradiction les unes avec les autres. Hermias est avec Tatien (Lettre à Diognète 8) le seul auteur chrétien à utiliser ces désaccords pour rejeter en bloc la philosophie grecque.

    Le chapitre 1 présente une critique théologique de la philosophie ; le deuxième donne un résumé doxographique classique sur la nature de la psychè. Le chapitre 3 souligne les désaccords sur le sort de l’âme après la mort. Le chapitre 4 présente une accumulation des théories sur la nature de l’âme. Les chapitres 6 à 15 présentent l’enseignement philosophique sur les premiers principes à un Hermias naïf. La thèse centrale de l’inanité de la philosophie grecque apparaît dans les chapitres 15 et 19, le chapitre 16 étant le seul passage où Hermias expose une philosophie, le pythagorisme. Le chapitre 17 commence quant à lui par un portrait du philosophe, qui abandonne sa famille pour sa mission et termine dans le fanatisme aveugle.

    Des appendices éclairent le rôle de l’apostasie des anges dans l’apparition des philosophies (p. 123-128), et commentent les passages 7, 3s. (p. 129-130) ; 14, 9 (p ; 131-132) ; 16 (p. 133-138).

    Extrait(s)

    12-13

    Nous voici épuisés d’être ainsi ballottés entre ces systèmes. Aussi vais-je m’en tenir à l’avis d’Aristote ; et qu’aucun argument ne vienne plus me troubler ! Mais que va-t-il alors m’arriver ? De vieux philosophes antérieurs à ceux-ci me coupent l’énergie de l’âme. Phérécyde me coupe les jambes en affirmant que les principes sont Zeus, Chtonia, Cronos. Zeus est l’éther, Chtonia la terre, Cronos le temps : l’éther est le principe actif, la terre le passif, et le temps est ce au sein de quoi les choses viennent à l’existence. Il y a donc rivalité des anciens entre eux. Lucippe pense, en effet, que toutes ces affirmations ne sont que bêtises. Il dit que les principes sont l’infini, le mouvement perpétuel, les très petits éléments, que ceux qui sont subtils montent et deviennent air et feu, que ceux qui sont épais descendent et deviennent terre et eau. 13. Jusqu’à quand recevrais-je de tels enseignements sans rien apprendre de vrai ? À moins que Démocrite ne m’arrache à l’erreur en me montrant que les principes sont l’être et le non-être vide, que dans le vide le plein a créé toutes choses par position et forme. Peut-être pourrais-je être convaincu par le beau Démocrite et voudrais-je rire avec lui, si Héraclite ne changeait mon opinion en disant au milieu de ses larmes : « Le principe de l’univers, c’est le feu, il existe sous deux états : la porosité et la densité. La première est active, la seconde passive, la première unit, la seconde sépare. » Je suis satisfait, même si des principes d’une telle importance me font tourner la tête !

    18 (p. 119)

    En s’attachant à tous ces travaux, mon âme s’est efforcée jusqu’à maintenant de dominer l’univers. Mais Épicure se penche vers moi et me dit : « Tu n’as mesuré qu’un monde, cher ami, il y en a d’autres nombreux, et à l’infini ! » Me voici donc contraint de mesurer beaucoup de cieux, d’autres éthers, et ils sont nombreux. Allons, ne tarde plus. Prends des provisions pour quelques jours, et pars vers les mondes d’Épicure. Alors je vole et franchis les limites de ce monde, Thétys et Océan. Pénétrant dans un monde nouveau et pour ainsi dire dans une autre cité, je mesure tout en quelques jours. De là je m’élève vers un troisième monde, puis un quatrième, puis un cinquième, puis un dixième, et un vingtième et un millième et jusqu’où ? Car maintenant, tout est pour moi ténèbres d’ignorance, noire illusion, erreur sans fin, vaine imagination, incompréhensible folie. À moins que je ne doive dénombrer un par un ces atomes dont tous ces mondes sont issus, pour ne rien laisser sans examen, et en particulier aucune de ces choses si nécessaires et si utiles dont dépend la prospérité de ma maison et de ma patrie.

    19. J’ai donc exploré les théories de ces philosophes pour en montrer les contradictions, pour montrer combien leur recherche de la réalité est sans limite et sans fin, combien leur but est imprécis et vain, puisqu’il ne s’appuie sur aucun fait évident, sur aucun argument clair.

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    Vetusta placita

    Vetusta Placita

     

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    NEMESIUS

    NÉMÉSIUS

    Correction à apporter aussi sur les pages suivantes.

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    Aligner la fin du paragraphe.

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