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SC 310
Tertullien
De la patience
février 1984Introduction, texte critique, traduction et commentaire par Jean-Claude Fredouille.
Ouvrage publié avec le concours du Centre National de la Recherche Scientifique.ISBN : 9782204021760309 pagesIndisponible chez notre éditeurLa patience, un trait proprement divin : la réflexion du grand théologien carthaginois.
Présentation
Premier traité consacré par un auteur chrétien à une vertu, le De patientia a été composé vers 200. Considérée avant tout aujourd’hui comme un trait de caractère, la patience était, pour la pensée antique, qui ne dissociait pas morale et psychologie, une composante de la Vertu, c’est-à-dire du seul bien véritable que le Sage devait posséder. C’est dans cette perspective qu’il faut lire et comprendre le De patientia de Tertullien.
On lira dans l’Introduction les raisons qui ont pu conduire le premier Père de l’Église d’Occident à arrêter son choix sur cette vertu en particulier, que ses prédécesseurs n’ignoraient certes pas, mais qu’ils ne considéraient pas non plus comme la vertu chrétienne par excellence : cela constitue la seconde nouveauté de l’ouvrage.
Pour l’essentiel, le traité justifie et décrit une attitude proprement chrétienne qui ne renie pas pour autant les valeurs de la sagesse stoïcienne. À cet égard, le De patientia est sans doute l’ouvrage de Tertullien le plus révélateur de la rencontre de l’Antiquité païenne et de la religion « nouvelle » : il opère ainsi la transition entre la tradition morale païenne et la spiritualité chrétienne naissante.Jean-Claude Fredouille (1934-2012), qui a été professeur de langue et littérature latines à la Sorbonne, a publié aux Sources Chrétiennes des volumes de Tertullien (Contre les valentiniens, SC 280-281 ; Exhortation à la chasteté, SC 319) et de Cyprien (À Démétrien, SC 467).
Le mot des Sources Chrétiennes
Avec le De patientia se poursuit l'édition dans Sources Chrétiennes de l'ensemble des œuvres de Tertullien. M. Jean-Claude Fredouille, professeur à l'Université Lyon III, qui a déjà édité le Contre les Valentiniens (SC 280-281), nous introduit ici à quelque chose de bien différent, moins par le style – Tertullien écrit toujours la langue difficile que l'on sait – que par l'objet : non plus la polémique antignostique et les difficultés de l'interprétation historique, mais la réflexion morale fondamentale. Il y a là une sorte de « première » dans la littérature chrétienne.
Claude Mondésert
Œuvre(s) contenue(s) dans ce volume
Le De patientia peut être daté de la « première période » (entre 197 et 206) de Tertullien, probablement antérieur à 204, peu avant le De paenitentia.
Tertullien présente son ouvrage comme un « éloge » de la patience et une« exhortation » à pratiquer cette vertu. Dieu et le Christ sont les garants de la vertu de patience et ses premiers modèles ; les chrétiens sont les plus capables de la mettre en pratique ; ses bienfaits sont nombreux. Outre la rhétorique, le De patientia entretient une étroite parenté avec la philosophie, en particulier le dialogue philosophique (Sénèque). Par le choix du sujet, Tertullien ouvre une voie à la littérature morale et théologique du christianisme, tout en prolongeant une longue tradition de la littérature philosophique et parénétique.
Premier théologien a conduire une réflexion systématique sur une vertu, Tertullien accorde à la patience la primauté dans l’ordre des valeurs qui doivent inspirer et diriger la vie morale et spirituelle des chrétiens. Si, pour les stoïciens, elle figure dans la triade courage-patience-magnanimité, dans la morale chrétienne, la patience était moins valorisée que la charité. Mais, au héros et au sage, en qui s’incarne l’idéal païen, Tertullien substitue la figure du chrétien « patient ». En outre, le motif de la patience lui fournit un principe explicatif des grandes étapes du « dessein de salut », un fil conducteur pour l’intelligibilité de « l’histoire sainte ». Il y a, d’une part, la patience de Dieu, celle des grandes figures de l’Ancien Testament, du Christ, enfin du peuple chrétien ; d’autre part, l’impatience du Démon, celle d’Adam et de Caïn, les manifestations d’impatience d’Israël ; parallèlement, la patience des philosophes. Cette triade coïncidait avec la tripartition de l’humanité en Christiani-Iudaei-nationes utilisée par les apologistes. La patience du sage est impassibilité, absence de trouble et maîtrise de soi dans l’adversité. Réglant sa conduite sur la raison et puisant ses forces dans sa volonté, le sage n’attend rien d’autre de la patience que l’exercice parfait d’une vertu qui est à elle-même sa fin. À cette attitude « autarcique » du sage, s’oppose l’expérience « christocentrique » du chrétien : la patience chrétienne est inséparable de la foi et de l’espérance. Pourtant l’inspiration stoïcienne demeure forte chez Tertullien et c’est ultérieurement qu’il reprendra le thème en l’orientant vers l’imitation du Christ.
Le De patientia de Tertullien aura une influence sur la littérature postérieure, de Cyprien à Augustin, sans oublier Lactance et Prudence.
Le texte est transmis par trois témoins : 1) le corpus dit « de Cluny » (représentants : d’une part, le Montepessulanus H 54 et le Selestatiensis 88, du xie siècle et dépendants d’un intermédiaire par ailleurs inconnu, à compléter par le Florentinus Magliabechianus, conv. soppr. I, VI, 9 saec XV et le Diuionensis, qui en sont des copies indirectes ; d’autre part, le Florentinus Magliabechianus, conv. soppr. I, VI, 10 et le Luxemburgensis 15, du xve s. qui dérivent indirectement du codex Hirsaugiensis, copié au plus tard au xiie s. Mais, de cet Hirsaugiensis nous connaissons aussi, directement, un certain nombre de lecons grâce à Beatus Rhenanus) ; 2) l’édition Mesnart de 1545 ; 3) l’Ottobonianus (Vaticanus Ottobonianus lat. 25, copié en France au xvie siècle).
Extrait(s)
Extrait 1 : Exorde, I, 1-6, p. 61-63
Exorde. I, 1. Je reconnais devant le Seigneur Dieu qu’il m’a fallu pas mal d’audace, si même ce n’est pas de l’impudence, pour prendre le risque d’écrire sur la patience, dont je suis totalement incapable de faire preuve, en homme dépourvu de toute qualité, puisque ceux qui entreprennent de faire connaître quelque bien et de le recommander doivent d'abord. eux-mêmes laisser voir qu’ils le mettent en pratique et subordonner leur fermeté dans l’exhortation à l’exemplarité de leur propre mode de vie, s’ils ne veulent pas que leurs propos aient à rougir de leur conduite défaillante. 2. Mais puissions-nous en rougissant obtenir le remède attendu et faire que la honte de ne pas mettre en pratique ce que nous sommes venu conseiller aux autres constitue une leçon pour le pratiquer ! Sans toutefois perdre de vue que certains biens, comme aussi certains maux, sont par leur poids au-dessus de nos forces, de sorte que, pour que nous nous en chargions et que nous les assumions ; seule est efficace la grâce de l’inspiration divine. 3. Car ce qui est éminemment un bien se trouve éminemment en Dieu et nul autre que son possesseur ne le dispense, à chacun comme il lui plait. 4. Aussi sera-ce pour moi une sorte de réconfort que d’examiner ce dont il ne m’est pas donné de jouir, comme ces malades qui ont perdu la santé et ne savent pas se taire sur ses avantages. 5. Ainsi moi, le plus misérable des êtres, toujours souffrant des fièvres de l’impatience, incapable d’avoir la santé de la patience, je suis réduit à soupirer après elle, à l’invoquer, à en parler, car je me rappelle et, le regard fixé sur ma faiblesse, je comprends que, sans l’assistance de la patience, personne ne peut espérer posséder la vigueur de la foi et la santé de la discipline du Seigneur. 6. Telle est sa situation à la tête des choses de Dieu qu’on ne peut, si on est étranger à la patience, s’acquitter d’aucun précepte, accomplir aucune action agréable au Seigneur.
Extrait 2 : Le Christ, modèle de patience, p. 67-69
2. Dieu souffre de naître, patiemment : il attend dans le sein de sa mère ; une fois né, il accepte de grandir ; une fois grand, il ne cherche pas à se faire connaître ; mais il s’humilie lui-même, se fait baptiser par son serviteur, n’utilise que des paroles pour repousser les assauts du tentateur ; 3. quand de Seigneur il se fait maître, enseignant l’homme échapper la mort, lui qui avait appris à accorder le pardon, total bien sûr, des offenses faites à sa patience, 4. il n’a pas discuté, il n’a pas réclamé, et personne sur les places publiques n’a entendu sa voix ; il n’a pas brisé le roseau froissé, il n’a pas éteint la mèche fumante – en effet il n’avait pas menti, le prophète, ou plutôt le témoignage de Dieu lui-même déposant son esprit dans son fils avec toute sa patience 5. il a accueilli quiconque voulait s’attacher à lui, il n’a méprisé la table ni le toit de personne, bien plus il a procédé lui-même au lavement des pieds de ses disciples ; 6. il n’a repoussé les pécheurs ni les publicains ; il ne s’est pas non plus emporté contre la cité qui avait refusé de le recevoir, alors que ses disciples auraient voulu voir se reproduire sur une ville aussi insolente les feux du ciel ; il a guéri les ingrats, il a cédé aux traîtres.
Errata
Page Localisation Texte concerné Correction Remarques 12 l. 26-27 la doxographie l’adoxographie 100 § 12 l. 13 omnen omnem
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