SC 274

Dom Maurice Laporte, de la Grande Chartreuse, décédé en 1990, a contribué à la collection des Sources Chrétiennes, sous la simple désignation « un chartreux », non seulement pour les Lettres, mais pour les œuvres de Guigues I^er et de Guigues II.

            La Chartreuse de Portes a été fondée en 1115 par deux moines de l’abbaye d’Ambronay en Bugey, Bernard et Ponce. La fondation bénéficia du soutien de l’abbé Didier d’Ambronay, de Gauceran, archevêque de Lyon, et de Hugues, évêque de Grenoble.

            On connaît depuis la 2^e moitié du xii^e siècle un groupe de 9 lettres ayant pour auteurs des moines de cette Chartreuse : deux lettres de Bernard, le fondateur et premier prieur, une lettre nommant comme coauteurs ce Bernard et deux de ses moines, Jean et Étienne, cinq lettres de Jean et une lettre d’Étienne. Ces lettres nous sont parvenues dans trois mss ; trois d’entre elles ont été éditées pour la première fois en 1657 par le jésuite Pierre-François Chifflet dans son Manuale Solitariorum : 

            B = Manuscrit 335 de la Bürgerbibliothek de Berne du xii^e s. ; P = Manuscrit Lyon Université 42 (à la Section de La Doua). Ces deux mss sont très proches des originaux. T = Troyes 1331 du xiii^e siècle (probablement une copie altérée du ms. de Lyon) a été utilisé par Chifflet. Notre édition suit majoritairement le ms. de Berne et regroupe les lettres par auteur.

            Les auteurs : Bernard, premier Prieur de la Chartreuse de Portes, fut en relation avec Guigues, prieur de Chartreuse et prit part au Chapitre général commun en 1140. Il meurt entre 1156 et 1159.

            Jean de Montemedio, moine à Portes, semble avoir été consulté pendant sa vie comme un maître spirituel. Il serait mort vers 1161.

            Étienne de Chalmet, novice, est le frère de Jean de Montemedio. Il devint peut-être prieur de Portes ; Adam de Perseigne lui adresse une lettre. Il serait mort en 1177.

            1/ Lettre de Bernard au reclus Raynaud de Saint-Rambert. Le reclus, en dépendance de l’abbaye, reçoit des conseils pratiques visant à adapter la règle à sa situation de réclusion : sur l’importance du discernement (la « discrétion »), du silence (danger des bavardages à la fenêtre de la cellule), mise en garde contre l’imagination et l’orgueil. Bernard lui conseille de varier les occupations, en équilibrant exercices physiques et spirituels, et de modérer la pratique du jeûne au regard de la claustration, afin de préserver sa santé physique et mentale. Il lui recommande l’humilité et la patience et évoque les tentations dans la lignée de la spiritualité des Pères du Désert. La lettre s’achève sur le paradoxe de la réclusion dont la finalité est de se rendre libre pour Dieu.

            2/ Lettre de Bernard aux moniales de Lyon. L’abbaye de Saint-Pierre-des-Terreaux entretenait des liens avec Portes. Bernard félicite les moniales d’avoir adopté un réforme et les encourage. La lettre aborde les thèmes de la virginité consacrée et de la vocation des moniales appelées à être les épouses du Christ.

            3/ Lettre de Bernard, Jean et Étienne, « De l’éloignement du monde », aux deux Aymon. Aymon de Varennes et Aymon de Rohoria sont connus comme bienfaiteurs de la Chartreuse d’Arvières, fondée en 1132 à 25 km de Portes. Cette lettre est une invitation à quitter le monde dans la tradition des traités De contemptu mundi.

            4/ La Lettre de Jean de Montemedio à son frère Étienne cherche à le convaincre d’entrer en religion et à le rejoindre à Portes.

            5/ Lettre de Jean à Latold sur la manière de prier. Latold doit sans doute être identifié avec un moine de la Chartreuse de Meyriat. Ce n’est pas un traité sur la prière, la lettre traite de la prière de demande. Celle-ci concerne soit le pardon des péchés, soit la connaissance et l’accomplissement de la volonté divine, soit le salut éternel dans le Christ.

            6/ Lettre de Jean à Hugues (moine, puis prieur de la Chartreuse de Meyriat) sur l’action de grâces. Les motifs d’action de grâces sont les dons et les bienfaits reçus de Dieu, mais aussi les mystères du Christ. Celui qui rend grâces reçoit la joie spirituelle, ainsi toute prière se doit de commencer par l’action de grâces.

            7/ Lettre de Jean à Bérard (moine) : « De la garde du cœur ». Sous l’influence de la spiritualité orientale, la garde du cœur est envisagée, soit comme un combat spirituel contre les vaines pensées, soit parfois, d’une manière plus contemplative, comme l’éloignement de l’esprit de toute cause de distraction, pour établir l’âme dans la paix nécessaire à la prière et à la contemplation. Elle est la surveillance des pensées afin d’éviter le péché et d’acquérir la « pureté du cœur ».

            8/ La Lettre de Jean à son neveu Bernard (moine) sur la persévérance traite des hésitations relatives à la vocation survenant après l’entrée en religion.  Il y a deux genres de tentations contre la persévérance dans la vocation : la crainte des obstacles et l’attrait de la vie du monde. Il lui conseille de considérer la tentation comme une épreuve qu’il doit surmonter, et lui recommande la patience à l’exemple de Job et de l’apôtre Paul.

            9/ Lettre d’Étienne de Chalmet aux novices de Saint-Sulpice. À l’origine un prieuré clunisien, la communauté avait hésité entre plusieurs observances, dont la vie cartusienne, avant d’adopter la règle de Cîteaux. Devant leurs nouvelles hésitations, Étienne les met en garde contre un changement d’Ordre et leur recommande l’humble fidélité quotidienne à toutes les exigences de la forme de vie religieuse que l’on a vouée.

Lettre de Bernard de Portes au reclus Raynaud, § 8, p. 65

8. La prière

« Souviens-toi qu’il faut t’appliquer sans relâche à la prière, veille à y consacrer le plus grand soin. Aucun souci ne doit jamais t’en écarter, ni le poids d’aucune maladie. Ne prie pas seulement pour ton salut, mais pour celui de tous les fidèles vivants, défunts ou appelés à vivre, spécialement pour ceux dont tu reçois du secours, et en même temps pour nous. Alors, confiant dans le secours de l’Esprit-Saint qui, selon la parole du Seigneur, enseigne aux saints à prier en des gémissements ineffables (Rm 8, 26), entre dans le sanctuaire de ton cœur, ferme la porte aux vanités et aux pensées impures, dont l’ennemi tente de t’envahir, et prie ton Père en secret (Mt 6, 6). En tout temps, selon tes possibilités et la grâce du Seigneur, mais surtout en ces moments-là, garde ton cœur avec un soin extrême (Pr 4, 23).